Androswitch, le bijou pénien de la contraception masculine – Entretien avec son concepteur, Maxime Labrit

En couple depuis 4 ans, nous commencions à nous poser des questions avec ma copine après qu’elle soit passée par tous les moyens de contraception possibles. Du stérilet, qui  lui provoquait des règles douloureuses à répétition, à la pilule, qui la dégoûtait, rien ne  lui convenait véritablement. Je voyais les effets secondaires sur elle un peu plus chaque  jour, et ça ne m’allait pas. Pas de raison en effet, qu’elle porte toute la charge d’une  contraception qui nous concernait tous les deux. Nous nous sommes alors renseigner sur  d’autres moyens et notamment sur ce qui s’offrait aux hommes. Au menu des possibilités : préservatif (classique) ; coitus interruptus ou retrait (peu fiable) ; piqûres d’hormones  hebdomadaires (mais l’idée était justement d’éviter les hormones) ; pilule masculine (pareil) ; ou bien vasectomie (un peu trop radical). Puis un jour, un ami m’a parlé du « slip toulousain », rien que le mot faisait sourire, et c’est d’ailleurs une pratique qui fut  longtemps et sans doute encore moquée. Mais le principe était intéressant et surtout très  simple. J’ai alors commencé à me documenter.


Un peu d’explication et d’histoire 

Peu d’entre nous le savent mais la spermatogenèse (le cycle de fabrication des  spermatozoïdes) dure trois mois. Au bout de trois mois, les spermatozoïdes sont  prêts à aller assiéger l’utérus de nos chères compagnes pour tenter de pénétrer dans l’ovule. La spermatogenèse a lieu en permanence, l’homme est donc toujours prêt à  féconder, en toute occasion, partout, tout le temps. Seulement, la spermatogenèse  a lieu quelques degrés en dessous de la température du corps (37°C), de l’ordre  de 2ou 3 degrés, à 34,5°C pour être précis. C’est pour ça que nos testicules se trouvent  en dehors du corps, dans la poche appelée scrotum, pour favoriser cette fameuse spermatogenèse. Or, il existe des conduits situés au niveau du pubis, les conduits inguinaux, dans lesquelles les testicules peuvent remonter au chaud (ça a forcément dû vous arriver une fois messieurs). C’est sur ce principe étonemment simple que se fonde la  méthode de contraception dite thermique, qu’on aurait pu développer depuis l’Antiquité  au moins, puisqu’on connaissait déjà les effets délétères de la chaleur sur la fécondité masculine (Hippocrate en parle quelque part1).  

« Pas de raison en effet, qu’elle porte toute la charge d’une  contraception qui nous concernait tous les deux. »

Dès les années 1930 même, Martha Voegeli2, une médecin suisse, testait avec succès en Inde, dans le cadre d’un programme de contrôle des naissances, les bains d’eau chaude quotidiens. Ses résultats montraient les effets de la chaleur sur la spermatogenèse, et cette  méthode fut ainsi reconnue par l’OMS. Dans les années 1970, des hommes de l’Ardecom3 à Toulouse (Association pour la recherche et le développement de la contraception  masculine) se rassemblèrent pour réfléchir à des moyens d’appliquer la méthode. Ils ont ainsi testé des trucs plus farfelus les uns que les autres, dont des slips chauffants à base de  résistances électriques4, mais comme quoi, l’imagination débridée peut donner de belles  choses car dans ces mêmes années, le docteur Roger Mieusset mit au point à Toulouse  le premier slip contraceptif, aussi appelé le RCT (« remonte-couilles toulousain »), un  simple slip muni de bandes élastiques et d’un trou laissant passer la verge et le scrotum pour maintenir les roupettes en position haute. Celles-ci se retrouvent naturellement près du corps et en prennent la température de 37°C, ce qui suffit à faire chuter la production de spermatozoïdes, pour peu que les joyeuses restent au chaud pendant au moins quinze heures par jour (et oui, méthode douce, naturelle, donc patience !) et ce durant tout le cycle de la spermatogenèse (trois mois, souvenez-vous). Passé ce délai, le porteur continue sa pratique et produit désormais un éjaculat avec une concentration inférieure  à un million de spermatozoïdes par millilitre de sperme, très loin sous le seuil de fertilité fixé par l’OMS à 15 millions par millilitre. L’homme est considéré comme contracepté en  dessous de 3,7 millions, mais l’on a poussé le seuil de contraception avec la thermique en dessous d’un million pour minimiser encore plus les chances de mauvaises surprises. 

Petit bijou pénien 

Tout cela est donc très beau sur le papier, mais bon porter un slip à trou, même si j’étais  prêt à faire des sacrifices, ne me tentait pas tellement. J’ai donc poursuivi mes recherches,  et je suis tombé sur un petit objet nommé Androswitch, qui utilise le même principe que le slip toulousain, avec une technique encore plus simple : un anneau en silicone qui enserre avec douceur verge et scrotum pour arriver au résultat souhaité. Là, on était sur quelque chose de bien plus acceptable esthétiquement, très minimal, avec un matériau biocompatible. L’inventeur de cet anneau est un homme merveilleux du nom de Maxime Labrit, infirmier de profession, qui mit ce joyau sur le marché en mai 2019 pour la  modique somme de 37 euros (pas grand-chose quand on sait ce que coûte la pilule tous  les mois, même si c’est remboursé). En allant sur son site internet5, j’ai trouvé toutes les  infos pour démarrer : choisir sa taille, prendre rendez-vous avec son médecin traitant pour savoir si on n’a pas de contrindication (ce qui est très rare), se faire prescrire un  spermogramme pour vérifier là aussi que tout va bien, et enfin commencer la pratique.  

Pour ce qui est des résultats, la méthode thermique est certifiée efficace à 99,9% (plus  que la pilule féminine), 100% réversible, indolore (contrairement au stérilet pour  certaines), non-hormonale (écolo, pas de rejets dans les eaux usées, pas de poissons  hermaphrodites), sans effet secondaire (pas de perte de libido, pas de changement du  volume de sperme, seule une légère réduction du volume testiculaire…), bref très peu de  contraintes, si ce n’est l’assiduité dans le port du dispositif, ce qui n’est pas non plus la mer à boire. Franchement, que demande le peuple ? Fort de tous ses renseignements, pour moi, il n’y avait plus qu’à.  

PUT A RING ON IT
HORTENSE

Encouragements et railleries 

Lorsque je me suis décidé à me passer la bague au doigt, je me suis mis à en parler. Les  réactions étaient assez troublantes de la part des mecs autour de moi, qui viennent à  peu près tous de milieux relativement éduqués, plus ou moins militants. La plupart ne  connaissaient pas et se mettaient à ricaner à la simple idée d’avoir un anneau autour du  pénis voire même disaient que je me faisais « couper les couilles par ma meuf », que   c’était « une atteinte à ma virilité », ou encore une « belle castration en règle ». Du côté des  filles, c’était plus partagé. Si certaines ont réagi exactement de la même manière que les  garçons, d’autres ont trouvé génial le fait que je prenne ça en charge, et considéraient qu’il était « important que des mecs fassent ça ». Une connaissance m’a même dit que son  ex-mec avait porté le slip pendant deux ans durant leur relation et que ça n’avait été que du bonheur pour eux.  

De mon côté, j’étais décidé à poursuivre le but que je m’étais fixé. J’étais d’autant plus motivé que la réalisation n’était pas des plus compliquées : porter cet anneau tous les jours et attendre trois mois. Bon, j’avoue que trois mois me paraissaient très long au départ, mais cela passe finalement très vite dans une vie. Je me sentais par ailleurs assez fier de faire cela, et au contraire d’une atteinte à ma virilité, je percevais cet acte comme un regain d’autonomie sur ma propre sexualité, avec une bien meilleure connaissance de mon corps à la clef.  

Mon premier spermogramme 

Le spermogramme est l’examen de contrôle qui permet de compter et d’analyser les spermatozoïdes par un simple recueil en laboratoire. C’est prescrit par votre médecin traitant et remboursé par la Sécu. Protocole strict : cinq jours d’abstinence sexuel avant  le prélèvement. Boire un litre d’eau la veille au soir, un demi-litre d’eau le matin. L’idée d’aller éjaculer dans un flacon stérilisé ne m’enchante guère, mais bon, c’est pour la bonne cause. J’arrive donc au laboratoire à 9h, pisse dans un bocal à 9h10 et pénètre dans une salle de 5m2 à 9h15. Une petite salle de laboratoire tout ce qu’il y a de plus banale, où une  infirmière m’explique rapidement la marche à suivre avant de refermer la porte. Dans mon imaginaire, la salle de prélèvement était accompagnée de revues pornos ou de trucs  un poil excitants, mais là rien. La seule chose qu’il y avait était un tableau avec la célèbre photo des Pink Floyd sur laquelle on voit six femmes nues assises au bord d’une piscine avec des pochettes d’albums du groupe dessinées sur le dos.  

Une fois la chose faite, j’étais invité à laisser le flacon refermé et à noter mon heure de  départ sur un petit formulaire pour sortir sans voir l’infirmière. Étrange sensation que de sortir de cette salle et de voir des gens venus faire des prises de sang ou des tests urinaires,  ainsi que de croiser le regard de la secrétaire d’accueil, qui sait pertinemment ce que vous  venez de faire et qui s’empresse de baisser les yeux vers son agenda. « Au revoir » ai-je tout de même lancé avant de repartir fièrement.  

Dix jours plus tard, résultats. Intéressant de voir sa fertilité mesurée à ce point, quasiment au spermatozoïde près. Le rapport vous parle brièvement de leur pourcentage de mobilité, leur vitalité, etc. On en apprend pas mal sur soi mine de rien, et sur cette fertilité  qu’on a, dans notre vie de garçon, jamais vraiment l’occasion de constater sauf au moment d’une grossesse non-désirée. C’est comme cela que j’ai appris que j’étais fertile, et je dois dire que j’étais libéré de cette angoisse communément partagée chez les  jeunes aujourd’hui, mais cela se doublait d’une nouvelle franchement peu réjouissante.  Avortement et tutti quanti.  

Deuxième spermogramme et vol de croisière 

Au bout de deux semaines, on oublie déjà qu’on porte l’anneau tellement c’est peu  contraignant et indolore. Globalement, je le mets en me réveillant le matin et l’enlève en me couchant le soir. Je le place alors soigneusement sous mon oreiller (ça me rappelle un  vieil appareil dentaire au collège). Au bout de trois mois, c’est l’heure de prendre rendez-vous pour le spermogramme de contrôle, celui qui me dira si je suis enfin contracepté.  Même endroit, même infirmière, même photo sur le mur, mais à la place de cette légère  gêne de la première fois, une réelle impatience de connaître le résultat. À nouveau, délai  de dix jours, et là : 0,4 million de spermatozoïdes par millimitre de sperme. Houra ! je  suis contracepté. Pas besoin de retourner voir un médecin, je le constate moi-même, c’est bon, je peux faire l’amour (je rappelle qu’on peut évidemment enlever l’anneau au moment du rapport) sans aucune forme de rempart élastique, physique ou chimique  entre ma compagne et moi.6 Bonheur. Aucune espèce de changement dans mon corps, si ce n’est le fait d’être heureux de cette nouvelle à partager. Je suis désormais, comme me le dit Maxime par mail, en vol de croisière et fait partie des rares hommes contraceptés en France. Il existe d’ailleurs une communauté « d’androswitchers » qui a tout récemment migré sur Discord, pour échanger autour des pratiques, des questions ou simplement partager des morceaux de musique tel que Single Ladies (Put a Ring on It) de Beyoncé.

TRÉSOR
HORTENSE
TRÉSOR
HORTENSE

1. Pour plus de détails historiques autour de la méthode thermique, cf. https://www.thoreme.com/blog/https-www thoreme-com-blog-approche-technique/switch-up.html 

2.Vogeli, Martha, 1956, Contraception through temporary male sterilization, unpublished, Smith College Archives. 

3. cf. leur site : http://www.contraceptionmasculine.fr/ 

4. Pas si farfelu que ça finalement, car a abouti à un modèle qui fonctionne aujourd’hui. cf. https://hk.jemaya innovations.com/fr/ 

5. le site créé par Maxime, où l’on peut retrouver toutes les infos. cf. www.thoreme.com

6. Je rappelle tout de même que l’anneau est un moyen de contraception, et qu’il ne protège pas des MST. 

Victor Déprez


Entretien avec Maxime Labrit, concepteur et développeur d’Androswitch

En plus de raconter mon expérience personnelle, il me semblait aussi important de  m’entretenir ici avec Maxime, le grand inventeur de l’anneau, pour qu’il nous raconte un  peu son parcours. Entre pirate des méthodes contraceptives et lanceur d’alerte en exil, il  a osé aller jusqu’au bout d’une cause qui était loin de pouvoir évoluer aux yeux d’un corps  médical endurci. Je l’ai donc eu au téléphone, alors même qu’il était dans son atelier en  région Aquitaine en train de confectionner des anneaux.


Victor Déprez : Comment es-tu arrivé à concevoir cet anneau contraceptif ?

Maxime Labrit : J’étais en couple depuis un moment, on se posait des questions autour de la contraception et on était dans des impasses avec les méthodes classiques comme le stérilet ou la pilule. En faisant des recherches, je suis tombé sur le site d’Ardecom, qui avait un peu relancé son activité en 2013, au moment de la sortie d’un livre intitulé  la  contraception masculine.1 C’était une réflexion plurielle sur comment envisager une contraception pour un garçon en regard des luttes passées, qui visait à donner des protocoles médicaux pour que les hommes et les médecins puissent les appliquer. Ça a été un flop monumental. Ils pensaient que tous les médecins allaient s’en saisir pour proposer les alternatives présentées mais rien n’a eu lieu. Moi je suis arrivé à ce moment-là et j’ai demandé des infos. Je me rappelle encore du premier mail de Pierre, le co-fondateur de l’association, qui avait dit à ses compères « Hé on en tient un ! », pour te dire à quel point c’était exceptionnel comme démarche.

C’est à ce moment-là que tu as découvert le principe de la méthode thermique ?  

Tout à fait, c’est ce vers quoi je me dirigeais. Encore fallait-il avoir le bon outil. Et à  l’époque, il y a cinq ou six ans, la question était encore un peu obscure. Il fallait soit prendre rendez-vous avec le Docteur Mieusset à Toulouse pour le slip toulousain, avec un délai  d’attente de six mois, soit fabriquer soi-même son propre slip. Et là, je me voyais mal aller voir un couturier ou une couturière en lui disant : «  salut, pouvez-vous me fabriquer un  slip à trou sur mesure s’il vous plaît » ? 

Comment as-tu fait alors ?

Eh bien, vu que le slip me semblait pas tout à fait jouable, je me suis demandé si on ne  pouvait pas simplifier l’objet, si un simple anneau ne pouvait pas suffire à maintenir les  testicules en position haute. Et un jour, comme ça, je me suis levé de mon canapé, je suis  allé dans un magasin de bricolage et j’ai acheté des modèles d’anneau toriques, qui sont  normalement dédiés à la plomberie, pour les essayer sur moi et voir si ça tenait. Et  mécaniquement ça marchait ! Les testicules remontaient et ça tenait, je l’ai expérimenté  sur moi. Bon, le seul truc c’est que le matériau n’était pas tout à fait adapté au contact cutané, pas hyper agréable, rigide, etc. Donc il fallait trouver autre chose, je me suis dit qu’un anneau en silicone pouvait faire l’affaire.  

À ce moment-là, tu étais donc seul à te poser la question ?  

Oui, c’était avant tout une démarche personnelle. J’ai dessiné le prototype et me suis  rapproché d’un bureau d’étude pour qu’il me fabrique un moule. Je voulais ensuite  développer des fichiers CAO pour l’impression 3D et que chacun puisse se fabriquer soi-même son modèle en Fablab, mais à l’époque la technique était pas encore assez avancée  pour fabriquer des modèles souples, donc ça ne marchait pas. J’ai alors opté pour la  fabrication artisanale avec des moules qui restaient très chers (20 000 euros par moule  à peu près). Chaque anneau est donc fabriqué à la main, avec amour, et est en quelque  sorte unique. Chacun a sa petite imperfection, sa petite touche, ce qui est normal dans une chaîne de production artisanale comme ça. Je suis d’ailleurs en train d’en fabriquer un en ce moment-même, taille Cartman2 ! (J’entends en effet des mouvements de grattoir à travers le téléphone).

« Si on veut adopter des méthodes naturelles, non  invasives et saines, il faut quelque part faire avec notre nature et respecter nos temporalités de corps »

Tu parlais quelque part de tes inspirations pour concevoir l’anneau, est-ce que tu  peux nous en dire un peu plus ? 

Ma première question était de savoir comment concevoir un outil à visée de suspension  des testicules en opposition à la gravité. Il fallait concevoir une sorte  d’exo-prothèse antigravitaire pour utiliser quelque chose que l’on possède tous, la chaleur de  notre propre corps. Pour que l’anneau ne glisse pas, il a fallu penser une surface interne antidérapante, et de ce point de vue là, je me suis complètement inspiré des geckos ou des poulpes avec une forme de bio-mimétisme. J’ai observé le nombre et la répartition de leurs ventouses qui reposaient souvent sur le nombre d’or. J’ai reproduit à peu près la même chose sur l’anneau. Je voulais concevoir un outil basé sur nos connaissances du  vivant, en adéquation avec les positions naturelles de nos corps. 

Ensuite, il fallait respecter le temps du corps. Un garçon est cyclique sur trois mois, donc  la méthode prend nécessairement trois mois. On considère souvent que c’est un délai  trop long et pas acceptable, mais bon si on veut adopter des méthodes naturelles, non  invasives et saines, il faut quelque part faire avec notre nature et respecter nos temporalités de corps, sans chercher à tout prix des méthodes d’urgence. 

Tu peux nous parler un peu plus du matériau ?  

Là c’est un modèle très simple d’utilisation, sans latex, sans colorants, ni parfums, ni  BPA, ni phtalates, ni plastique, ni agents de blanchiment, ni toxines, donc hypoallergénique  et éco-responsable. Après je pense que le silicone n’est pas le meilleur des matériaux, on pourrait faire encore mieux, j’y travaille et ça viendra, mais chaque chose en son temps.  Concernant la fabrication par moule, j’ai forcément de la matière en excès, et justement, j’ai trouvé un plasticien qui voulait bien récupérer les chutes de silicone pour fabriquer ses  œuvres. Donc appel aux plasticiens, j’ai encore des chutes à refiler !  

Androswitch était donc conçu, quelles étaient les réactions autour de toi ?  

Les réactions qu’on trouve encore maintenant sur les réseaux sociaux. « Moi jamais, je  préfère la capote, ou attendre la pilule ». Et aussi un phénomène de méfiance, voire même  d’incrédulité : « si vraiment ça existait, tu ne crois pas qu’on le saurait déjà  » ? Ce qui est  vraiment la pire réaction pour moi, qui revient à tirer une balle dans le cœur des hommes quoi, parce qu’en fait j’ai envie de leur dire : « on vous a menti pendant tant d’années  et on vous a construit une posture de mâle alpha, qui est toute culturelle ». Et là, on se  rend compte que sans les bonnes informations, il est impossible de faire un choix libre  et éclairé.  

Et dans le milieu médical ? 

Au départ très peu de réactions, du fait de l’omerta sur la question de la contraception masculine, les médecins se contentant de dire : « jamais un gars se remontera les testicules », avec pour corollaire le fait que la contraception est seulement une histoire de femme et que le sujet est clos. Personne ne se posait la question de savoir si ça pouvait être partagé en fait. On m’a aussi dit que la méthode manquait de recul (c’est vrai que quarante ans, ça suffit pas hein…), que ça pouvait provoquer des cancers, avec cette notion culturelle bien établie : on ne touche pas au corps de l’homme. Certaines femmes gynécologues me disaient aussi que la pilule était un gain d’émancipation3 et qu’en allant vers ça, on  allait déposséder les femmes de ce qu’elles avaient gagné par les temps passés, ce qui  est vrai d’une certaine manière mais ce qui n’est pas du tout le but de l’anneau. Le but c’est de dire qu’on peut peut-être partager un peu plus la charge contraceptive, et que les hommes peuvent prendre ça en charge autant que les femmes. Il y a une rigidité de pensée chez certains membres du corps médical pour le moment, c’est très violent.  

Mais c’est culturel tout ça, faut pas l’oublier. Quand tu y penses, c’est vrai qu’il y a une époque pas si lointaine où le sperme était sacré. La fertilité de l’homme, on n’y touche  pas, c’est tabou. La contraception est donc devenue la responsabilité des femmes. Dès  l’adolescence, on les éduque, on leur écarte les jambes chez le gynéco et on médicalise leur corps. C’est une violence que ne subit jamais le garçon. On le laisse bien tranquille  avec tout ça, du coup il n’est pas amené à se poser la moindre question. Il est fertile c’est  tout.  

Tu observes quand même un peu de changement dans les mentalités ? 

Oui, c’est une petite révolution qui se met en place. Il faut que le corps médical évolue,  que le corps enseignant prenne le relais, ce qui commence à se faire. J’ai l’exemple d’un professeur de physique que je connais et qui utilise l’anneau. Il en a parlé à son collègue  professeur de biologie, qui a trouvé ça génial et qui l’a de suite intégré dans ses cours sur la sexualité.  Donc ça commence à se diffuser de cette manière, au niveau individuel. Mais il faut aller beaucoup plus loin et que ce soit relayé par les institutions, en fédérant toutes les  initiatives pour que les gens aient le maximum d’informations et puissent faire leur choix  en toute intimité. 

Tu penses que le fait d’avoir créé un outil plus adapté, permettra de changer les  pratiques ? 

J’ai l’impression oui, enfin je l’observe. Avec les modèles de slips textiles, on était à une  centaine de personnes par an qui s’y mettaient, alors que depuis deux ans avec l’anneau,  plus de quatre mille garçons s’y sont mis. La fonction existe depuis longtemps mais sans doute que l’outil était pas tout à fait adapté. Après ça ne veut pas dire qu’il faille l’oublier, ni oublier toutes les autres techniques qui existent pour les hommes comme  pour les femmes, loin de là. Il ne s’agit pas d’imposer quoi que ce soit, mais simplement  d’ouvrir une nouvelle porte pour avoir plus de diversité et de partage dans nos moyens de  contraception. Que ça vienne bousculer un peu nos pratiques aussi, car c’est en changeant nos pratiques, au sein de la société civile, qu’on viendra interpeler les pouvoirs publics. On ne peut pas attendre que les laboratoires pharmaceutiques s’en chargent en tout cas, puisque selon eux il n’y a pas de marché.  

C’est devenu un combat pour toi ?  

Carrément, je milite pour ça. Face au manque d’information et de mise à disposition des  outils, ça ne pouvait que devenir un combat. Il y avait quelque chose qui me révoltait et  qui me poussait justement à trouver la parade comme tu dis. En fait à un moment, j’ai  voulu développer la chose pour que ça puisse être fabriqué massivement dans d’autres pays,  parce qu’il n’y avait aucune raison pour moi qu’un tel moyen de contraception ne soit  disponible qu’en France. Il y a des tests cliniques depuis plus de quarante ans, la méthode  est archi-sûre, naturelle, réversible et malgré ça, il fallait ce qu’on appelle des legal opinions3,  des procédures ultra compliquées qui imposaient des délais entre cinq et dix ans, ce qui me semblait complètement absurde. Et c’est justement parce que ça semblait quasi-impossible et complètement absurde que je l’ai fait.  

Personne ne pourra m’empêcher de produire moi-même mes objets et de les distribuer.  Personne ne pourra m’empêcher de diffuser une information validée et de voir comment  elle est reçue. De ce point de vue là, internet a été une aide précieuse et je  suis confiant, la communauté d’utilisateurs et de scientifiques autour de l’anneau et de  la méthode grandit chaque jour… Donc ce n’est que le début d’une réelle nouvelle ère  contraceptive hors genre !

Victor Déprez

1. Jean-Claude Soufir, Roger Mieusset, La contraception masculine, Springer, 2013. 

2. Il existe cinq tailles d’anneau, toutes baptisées du nom d’un des personnages de South Park. cf. https://www. thoreme.com/quel-modele-choisir.html 

3. C’est la loi Neuwirth en 1967, qui légalise l’accès aux méthodes anticonceptionnelles et rend possible la diffusion de la pilule et du stérilet pour les femmes.  

4. Pour faire simple, une legal opinion est une procédure judiciaire qui permet de valider une opération particulière  de la part d’une entreprise auprès du droit international. 

Bonus : J’ajoute le lien d’un dessinateur génial dont m’a parlé Maxime. Il s’appelle Bobika, est basé à Marseille, et réalise une web-série dessinée sur les questions féministes avec des épisodes sur la contraception masculine. Allez  voir, c’est génial : https://www.bobika.cool/coeur