



Thaddé Comar
Thaddé Comar
Depuis l’avènement du GPS, la notion d’adresse semble parfois disparaître. On se laisse guider « les yeux fermés », sans se soucier de savoir dans quelle rue, avenue ou boulevard nous mènent nos pas. Nos yeux ne se lèvent que rarement maintenant vers ces petites plaques bleues et son lettrage blanc. Plaque reconnaissable immédiatement, le modèle fut imposé par Rambuteau en 1847 et est resté inchangé depuis. Claude-Philibert Barthelot de Rambuteau, ancien préfet de la Seine sous Louis-Philippe, œuvra dans la capitale en modernisant les égouts et en installant les vespasiennes dans les rues ; ces dernières portèrent d’ailleurs son nom au début, par antonomase. CPBdR (pour les intimes) a d’ailleurs une rue à son nom dans le centre de Paris.
Souvent, les rues, boulevards, avenues ou autres places portent un nom commun. Il est considéré comme logique qu’une gare soit « rue de la gare », ou qu’une mairie trouve son adresse « place de la mairie ». Mais les noms propres sont majoritairement utilisés pour nommer nos nombreuses voies urbaines. En France le tiercé de tête constitue à lui seul un cours d’histoire : Charles de Gaulle, Louis Pasteur, Jean Moulin. Il n’est pas question ici de remettre en doute ce que l’on doit à nos illustres aînés, mais quelques inventions mériteraient bien de voir leurs inventeurs affublés d’un nom de rue. Ou au moins une ruelle (c’est une petite rue). Ces inventions qui facilitent la vie quotidienne. Ces choses que l’on ne voit plus tant elles sont usuelles. Parfois même disparaissent-elles, emportées par l’évolution technique, sans même que ne soit remercié le bienfaiteur qui en eut l’idée.
Lou Ottens est de ceux-ci. Mais qui connait monsieur Ottens ?
Wikipédia vous dirait : « Lou Ottens, né Lodewijk Frederik Ottens le 21 juin 1926 à Bellingwolde et mort le 6 mars 2021 à Duizel aux Pays-Bas, est un ingénieur néerlandais qui a passé sa vie professionnelle chez Philips. Il est notamment connu pour l’invention de la cassette audio ».
Adolescent pendant la seconde guerre mondiale, il se bricole un récepteur radio pour capter « radio Oranje », medium de la résistance néerlandaise qui émettait depuis Londres. Puis, diplôme d’ingénieur en poche, il entre en 1952 chez Philips à Eindhoven. La société fabrique déjà des lecteur-enregistreurs de bande magnétique, mais le format n’en fait qu’un outil professionnel ou élitiste. L’idée de Lou Ottens est de le miniaturiser pour en faire un objet portable. C’est chose faite neuf ans plus tard. Créé en 1963, la minicassette, ou musicassette, ou encore K7 développa une forme de gratuité. Car le réel génie fut de développer une version vierge de l’outil sur lequel chacun peut enregistrer à domicile. Mais surtout de réenregistrer. Dorénavant, on enregistre, on écoute, on efface et on réenregistre… à l’infini. C’est magique, chacun peut créer son programme. Sa playlist, sa compilation, son best-of. La cassette devient une compagne indispensable. PARTOUT ! On écoute SA musique. Jusque sur le siège arrière de la R16 sur la route des vacances ; fini la variété française de papa et maman à la radio.
La vague punk anglaise part avec moi chez mémé Juliette. Clash et les Pistols dans les Deux-Sèvres.
Ce petit bout de plastique devient un trait d’union. Les cassettes passent de main en main ; l’échange, le partage, la découverte.
Ce bout de plastique de 30 grammes est le meilleur des « cas contact ». Les bandes magnétiques engendrent des bandes de potes. L’écoute engendre l’entente, et la cassette en est le vecteur idéal. Petit, léger et peu onéreux, une réelle arme de propagation massive. Lien social bien avant les réseaux, quoi de plus fédérateur que la musique ?
Les courants indépendants ou alternatifs n’accédant pas aux diffusions radio ou télé doivent beaucoup à Lou Ottens. La culture musicale des adolescents des années 70 s’est bâtie via cette transmission magnétique. Un disque acheté pouvait engendrer une, deux ou dix cassettes. Ce n’était pas du vol, mais du don. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les maisons de disques n’ont jamais été aussi riches que dans les années 70. Plus encore dans les années 80, en partie grâce à Sony qui en 1979 inventa le Walkman (le baladeur, si vous êtes académicien), précurseur de la miniaturisation et de l’itinérance, avant l’ipod.
Techniquement, c’est tout simple. « Béta » dirais-je. Une bande de 4 mm de large. Deux pistes se lisent dans un sens, deux dans l’autre. L’aller et le retour. Un mec malin a eu l’idée de faire le lecteur auto-reverse. Plus besoin d’ouvrir, sortir, retourner et enclencher la lecture ou l’enregistrement. Sans doute un auditeur de Bernard Lenoir sur France Inter dont l’émission durait 90 minutes, qui diffusait toutes les nouveautés anglaises des années 80 et surtout des concerts, des sessions sur le modèle de John Peel, son maître anglais de la BBC. Age d’or des cassettes Sony CHF90 (les rouges, les moins chères, c’est un budget quand même), et des BASF Chrome 90 (pour les artistes exceptionnels). Parfois trahi par la technique, la bande se déroule hors de son habitacle en plastique, et là c’est la cata. Heureusement le génie humain, décidément sans limite, fît que l’Homme trouva le crayon en bois pour rembobiner gentiment (il ne faut pas plier la bande), et reprendre son écoute.
C’est fini tout ça. Tout est dématérialisé. On enregistre plus, on stocke dans des « data centers » qui prennent feu. On « streame ». On « podcaste ». On utilise des mots que les correcteurs d’erreur ne connaissent pas. La culture n’est plus palpable.
Le 6 mars 2021, Lou Ottens qui inventa la cassette musicale devient l’inventeur de la plus petite machine à remonter le temps. Les 6 mars sont importants. Ma maman qui me demandait régulièrement de baisser la musique dans ma chambre, était née un 6 mars.
Patrick Nauche
Comme beaucoup, ma vie est rythmée de bruits mécaniques, de strapontins, de visages fatigués et de retards sur la ligne. Tous les jours ou presque, je prends le train.
Le train a toujours été un terrain d’expérimentation plébiscité par les photographes de rue. Il cristallise les tensions de la vie en milieu urbain et donne à voir une honnête représentation des rapports sociaux.
Entre exaspération, complicité, solidarité, indifférence et détente, le train est un incontournable de la vie en communauté, un inévitable espace partagé. Nous n’avons d’autre choix que de composer avec et d’y trouver un terrain d’entente.
Loan Lamoureux
Perchée dans la montagne à l’altitude des alpages, la cabane non gardée se présente la plupart du temps comme un abri des plus sommaires. Composée de quatre murs pouvant être en pierre, en bois ou en ciment et d’un toit généralement en tôle, son agencement est minimaliste. On y retrouve souvent, au rez-de-chaussée, un poêle, une table, des bancs et à l’étage un grand plancher servant de dortoir. Ce lieu singulier est éloigné des routes carrossables et donc reclus au milieu de la nature.
Ces cabanes libres se distinguent des refuges classiques de par leur gratuité bien qu’une participation libre puisse être proposée, le refuge reste accessible à tous sans condition. Pas de clé ou de cadenas dans ces lieux, la porte est toujours ouverte et le refuge est toujours prêt à accueillir une âme de passage.
Ce qui m’a marqué dès mes premiers séjours dans ces cabanes, c’est le sentiment de privilège qu’il y a à être là. Cette petite maisonnée au milieu des montagnes devient nôtre le temps d’une soirée. On s’approprie cet espace, on y vit pour une temporalité limitée. La nuit, on va pisser dehors à la lumière de la lune sous le spectacle des étoiles et le matin on se réveille avec une vue incroyable sur les montagnes environnantes, quel luxe ! Mais il est paradoxal d’avoir ce sentiment de « privilège » et « d’appropriation de l’espace », car ce lieu est par essence ouvert à tous, sans distinction, ni contrôle à l’entrée.
Et le constat est qu’on y trouve une diversité de personnes impressionnante: des alpinistes venus faire un sommet et se levant à trois heures du matin, une bande de potes venus fêter un anniversaire ou encore une famille venue faire découvrir les plaisirs de l’itinérance à leurs enfants. Tout ce petit monde, qui ne se serait probablement jamais rencontré, cohabite ensemble le temps d’une soirée, échange des anecdotes ou une lampée de génépi.
Ces endroits sont des biens communs. On y retrouve un fonctionnement collaboratif et bienveillant. L’approvisionnement en bois par exemple, est refait par chaque occupant, le ménage est fait en partant, et on y laisse si possible quelques bougies ou des victuailles pour les prochains habitants. Le respect de ces règles d’usage implicites est indispensable à la pérennité de ces lieux.
Ces refuges sont pour la plupart des anciennes cabanes de bergers construites il y a plus d’une centaine d’années. Les matériaux servant à leur construction ont été acheminés depuis la vallée à dos d’homme ou de mulet, ou glanés sur place. Un travail d’envergure qui depuis les années soixante a été remplacé par l’hélitreuillage lorsque les moyens financiers sont suffisants. Aujourd’hui, le nombre de bergers ayant diminué dans les montagnes, ces cabanes ont trouvé un nouvel usage à travers la société de loisirs qui s’est développée, notamment en montagne.
Cependant, la gestion de ces espaces libres est très floue. Ces refuges ont des propriétaires divers, ONF (Office national des forêt), communes, propriétaires privés ou inconnus, et leur entretien est laissé à leur bon vouloir. Des associations prennent le relais pour permettre à ces lieux de continuer d’exister.
Parfois, ce sont des associations très locales qui se mobilisent afin de s’occuper d’un refuge en particulier. On peut citer l’exemple de la cabane de Rochassac [001], à l’extrémité nord du massif du Dévoluy à 1 690 m d’altitude. Cette cabane, datant d’environ un siècle, a échappé de peu à sa destruction en 2014. En piteux état, l’ONF voulait effectivement la détruire. Des admirateurs de ce lieu se sont mobilisés jusqu’à se retrouver à plus de deux cents. L’association Rochassac s’est ainsi créée, a levé des fonds,
et les membres se sont retroussés les manches afin de rénover l’édifice. Le chantier a permis de refaire la charpente, le plancher, l’isolation, de changer le poêle. Cette cabane, ouverte à tous, est toujours gérée par l’association qui est aux petits soins pour le site.
D’autres associations ne sont pas uniquement dédiées à seul un refuge. L’association Tous à Poêle2, par exemple, s’est donné pour but de bichonner les cabanes libres. Créée en 2015, l’association a déjà réalisé des chantiers dans pas moins de quinze cabanes.
Sans ces initiatives associatives,
la survie de ces enclaves libertaires serait très compromise. En effet, les propriétaires décident parfois de condamner certains refuges
trop dégradés, et les conflits d’usage sur ces lieux peuvent amener à en restreindre l’accès.
Ces espaces majoritairement autogérés
sont des îlots résistants à une logique dominante de privatisation et d’usage des biens à visée commerciale. Leur pérennité ne tient qu’à un fil et mérite d’être défendue.
Cyprien Donnet
Photos de Marion Krahenbuhl
Dans l’univers des sports outdoor, être en totale harmonie avec la nature est essentiel. Il faut avoir une parfaite connaissance du milieu dans lequel on évolue, eau, terre et air.
C’est le cas de Yann Scussel, jeune suisse passionné par le monde sous-marin et les sports aquatiques. Ses terrains de prédilection sont les rivières, les océans et les lacs. Tout simplement être dans l’eau. Après avoir vécu de multiples expériences et battu plusieurs records, Yann veut rendre à la nature ce qu’elle lui a donné. De cette volonté est né le projet de la descente du Rhône en hydrospeed. Vingt-neuf heures non-stop, depuis sa source jusqu’au lac Léman, accompagné de Claude-Alain Gailland, pour sensibiliser et alerter sur la pollution des eaux en Suisse, en montrant le trajet que suivent
les déchets jetés à l’eau. Je l’ai suivi pendant ces vingt-neuf heures, témoin de sa passion, de son amour pour l’eau et la nature. Durant cette longue descente, Yann a pris la place des déchets, se laissant porter par les eaux, à travers rivières et torrents. Une telle pratique exige une entente parfaite avec le terrain, pour éviter tout écueil à l’issue potentiellement mortelle. Il lui fallait connaître chaque cascade, chaque rapide, chaque mouvement de l’eau, afin d’en sortir indemne. Yann s’est complètement adapté à son milieu, pour s’y fondre et faire corps avec lui. L’eau l’a porté jusqu’au bout de sa course et par là même jusqu’à son objectif final. Son projet a séduit plusieurs télévisions suisses qui ont diffusé son reportage, sensibilisant ainsi à la pollution des eaux dont nous pouvons tous être responsables.
Louis Nauche : Qu’est-ce qui t’a motivé à réaliser cet exploit ?
Yann Scussel : Dans tous les projets que j’ai réalisé jusqu’à maintenant, j’ai malheureusement toujours constaté la pollution plastique que ce soit sur la mer ou la terre. Mais l’élément déclencheur de ce projet a certainement été un article de journal que j’ai lu, qui disait que 14 000 tonnes de déchets plastiques finissent chaque année dans la nature en Suisse. Dès lors, j’ai pensé à un moyen de sensibiliser la population à la pollution plastique et c’est comme ça que m’est venue l’idée de réaliser la descente du Rhône en hydrospeed.
À quel point est-ce important de connaître le milieu dans lequel tu évolues ?
Ça permet d’éviter les accidents et de performer au plus haut niveau. La subtilité avec le milieu aquatique est qu’il n’est pas constant ; il y a
une très grande différence entre préparer une plongée engagée en mer
et réaliser une descente d’un cours d’eau en montagne. Il faut prendre en compte tous les paramètres du milieu et quand on n’est pas assez préparé, ça ne pardonne pas. Par exemple, lors de ma descente du Rhône en 2020, je ne connaissais pas assez bien le parcours du fleuve et je me suis blessé sérieusement à l’épaule droite à mi-chemin sur un rocher. J’ai réussi à finir ma descente malgré la douleur en vingt-neuf heures et j’ai eu le bras droit paralysé pendant un mois, suivi de longues séances de physiothérapie.
Quelle est ta relation avec l’eau ?
J’ai un rapport à l’eau très particulier. En fait, j’ai grandi dans l’eau. J’ai commencé bébé nageur puis j’ai fait de la natation en compétition et depuis je n’ai jamais cessé d’évoluer dans cet élément. Mon grand-père également est pêcheur au Portugal, ce qui m’a fait aimer l’océan et développer une certaine curiosité pour le monde marin.
Est-ce que tu as d’autres projets autour de l’écologie et de la protection de l’élément dans lequel tu évolues ?
Malheureusement, avec la crise sanitaire actuelle, je ne peux pas réaliser la majorité de mes projets car il est devenu trop compliqué de voyager. Cependant, je continue de me préparer tant bien que mal à de futurs projets autour de l’écologie. Il y a un mois, j’ai réalisé des plongées de préparation sous glace dans un lac de montagne, en Suisse. J’essaie également de m’ouvrir à d’autres horizons, je travaille en ce moment sur un projet de documentaire à propos de la montagne, en collaboration avec la RTS (Radio télévision suisse).
Vidéo de Marc Zumbach et Dom Daher, La grande descente, allégorie d’un déchet plastique, 2020, 8 min.
Toutes les photos sont de Louis Nauche