Édito

Chères lectrices, chers lecteurs,

Voyons voir s’expose au grand jour !
L’énergie folle qui est née de cette édition nous propulse dans le bonheur.

L’hiver dernier, nous avons imprimé cent exemplaires du premier Voyons voir. Un premier essai qui nous a offert de nombreux retours constructifs grâce auxquels nous avons grandi. Notre désir de poursuivre l’aventure n’a fait que s’accroître.

Voyons voir c’est un terrain d’exploration, un espace d’échange qui à travers chaque saison, chaque numéro nous enrichit les uns les autres.
Il y a eu des craintes, des doutes et des tensions, on avance, on découvre et on apprend à faire. Maintenant que les bases sont là, nous cherchons à retrouver le temps d’entreprendre sincèrement. Produire ensemble et sans hâte un objet qui reflète les questionnements de chacun.

L’objectif du financement participatif étant atteint, et ce grâce à vous, Voyons voir se lance en toute liberté sur l’autoroute du kiff ! 

Aujourd’hui nous avançons l’esprit apaisé. 
Grâce à nos rendez-vous mensuels et lors de nos pérégrinations en terre d’osmose, les membres du collectif ont appris à se connaître, à se comprendre et même à travailler ensemble.
Vous le percevrez, je l’espère, dans vos lectures et rien ne saurait plus ravir nos cœurs.

« Trouver la parade » à cette vision en entonnoir que l’on nous donne à voir, c’est cela que nous avons cherché à mettre en lumière dans cette édition.
Ce thème a tellement parlé à nos auteurs que nous avons exceptionnellement décidé de reproduire leurs œuvres sur cent pages et non quatre-vingt comme le veut la coutume.

Il vous revient, maintenant, de découvrir le fruit d’une pensée collective.

Pierre Laly

Lire c’est résister

Aujourd’hui plus que jamais, la lecture me semble une activité de résistance et de liberté. Cela n’a pas toujours été ainsi que j’ai perçu cette occupation qui compte parmi mes passions premières. Plus jeune c’était surtout un moyen d’échapper aux contingences du monde proche et réel. Me perdre dans une histoire et éprouver les différences et les similitudes en rapport avec ce que je vivais. C’était davantage un moyen de questionner ma réalité tout en m’en distanciant, mais sans que je le sache, tout le potentiel de résistance était déjà bien présent. 

J’étais attiré par le côté aride de la lecture qui en faisait pour moi le plus passionnant des jeux. Il faut bien le reconnaître — et c’est une des difficultés qu’ont beaucoup de personnes avec la lecture — rien n’est plus ennuyeux et ennuyant visuellement parlant que de petits caractères noirs sur du papier blanc. C’est en fait là que réside la plus grande de ses forces. L’être humain au cours de son évolution a principalement développé son sens visuel — il me semble parfois au détriment des autres — par la chasse et la cueillette, la pratique des artisanats premiers, le commencement des arts et mille autres activités. Tout ce que nous voyons peut potentiellement être source d’imagination et d’idées nouvelles. 

Sachant cela et étant aussi sensible à tous les autres arts davantage « visuels », le ratio « impact visuel / imagination » de la lecture me semblait bien déficitaire sur le plan visuel, mais si intensément riche du point de vue de l’imagination. Dans un film par exemple, beaucoup de sens sont mis en éveil. On pourrait s’imaginer les images et les personnages différemment de ce qu’ils sont sur l’écran, mais ce n’est pas le cas et la place laissée à l’imagination est donc à mon sens, moindre que celle laissée dans la pratique de la lecture. Car combien de fois avons-nous été déçus en découvrant une lecture que nous avions aimée, une fois transposée à l’écran ? Les décors étaient différents, la morphologie des personnages aussi et encore une foule d’autres détails par rapport à ce que nous avions imaginé.

Pour un livre, il y aura autant de perceptions différentes qu’il y aura de lecteurs. La pratique de la lecture est une activité solitaire au cours de laquelle on confronte ses propres idées, croyances et acceptations du monde avec ce dont nous parle l’auteur. Bien sûr, cela dépendra du livre, que cela soit de la philosophie, un essai ou une fiction. On entre alors dans un dialogue muet avec l’auteur et, page après page, nous nous construisons et déconstruisons en silence. 

Aujourd’hui alors que tout accélère avec cette prédominance des écrans et des opinions trop vite bâties, lire me paraît être une activité essentielle entre toutes. Elle nous fait tout à la fois redécouvrir, dans une certaine mesure, une part intime de nous-mêmes et aussi que oui, nous en avons le temps. Lorsque nous lisons, un monde se crée et se recrée en secret et pour citer Gilles Deleuze à la lettre « R » de son fantastique abécédaire (1) :  

« Créer c’est résister »

(1) Je vous invite par ailleurs à aller regarder, si ce n’est pas déjà fait, cet abécédaire de Deleuze, disponible en intégral sur une plateforme de diffusion de vidéos que l’on ne nomme plus.

Antoine Mondou

Exorciser le temps

Comme vous, je ne peux plus sortir de chez moi. Ce n’est pas tout à fait exact. Je suis autorisé à sortir de chez moi pour sortir mon petit chien Fédor, tous les soirs, vers minuit. Une petite balade de dix minutes, le temps d’une chanson et d’une cigarette. Agréable. C’est d’ailleurs pendant cette petite balade que j’ai structuré ce texte. Je suis également autorisé à sortir de chez moi pour aller travailler et pour rentrer du travail. Comme vous (je vous vois tous les matins), je prends le métro, je travaille (plus ou moins bien) et puis je rentre. Vous vous rendez compte ? Nous devons être autorisés à sortir de chez nous. Nous devons faire des attestations, trouver des subterfuges, des parades. Nous devons guetter la police quand nous nous déplaçons après 18 heures. Vous vous rendez compte ? Nous ne pouvons plus sortir de chez nous. Alors il faut vivre avec. Il faut la trouver cette parade. 

Je ne peux plus sortir de chez moi, boire un café, boire un verre, voir des amis, des inconnus. Parler. Je ne peux plus rien faire d’autre que rester chez moi. Alors, évidemment, cette parade, elle est chez moi. 

Je peux sortir de chez moi. Il y a encore le cinéma pour sortir de chez moi. Trouvée, la parade. Voir des amis, des inconnus, boire un café, parler. Je me balade à Paris, je me balade en France, en province. Je sors même en boîte de nuit, non masqué. Je danse près de vous. 

Mais partout, il y a la mort. C’était l’autre soir. Un acteur est mort. Je ne le connaissais pas personnellement mais j’avais l’impression que si. Je l’ai toujours aimé ce type. Parfois même je m’identifiais à lui, comme on dit. Alors ça m’a rendu extrêmement triste. Il était là, il existait. Il a fait beaucoup. Il a écrit, il a joué, il a eu des succès, il a connu l’Amour. Il existait. Et d’un coup, il n’existait plus. Tout ça pour ça ? Oui, je m’identifie. J’essaye des choses. Tout ça pour ça ? J’étais donc triste. J’ai pensé à une phrase que j’ai lue dans un livre sur le cinéma. J’ai cherché cette phrase. Elle parlait d’exorciser la mort, ou d’exorciser le temps, je ne sais plus, par le cinéma. J’aimais beaucoup cette phrase. Elle conférait au cinéma une puissance infinie. Exorciser la mort. Exorciser le temps. Qu’est-ce qui serait plus puissant ? J’ai cherché cette phrase, je l’ai trouvée, la voici. Oui, c’était bien le temps.

LE « BESOIN INCOERCIBLE D’EXORCISER LE TEMPS »

Le film ne se contente plus de nous conserver l’objet enrobé dans son instant comme, dans l’ambre, le corps intact des insectes d’une ère révolue, il délivre l’art baroque de sa catalepsie convulsive. Pour la première fois, l’image des choses est aussi celle de leur durée et comme la momie du changement.

Elle me paraissait plus claire dans mon souvenir. Elle est floue mais elle est belle. J’ai voulu mettre en pratique ma pensée théorique. J’ai regardé un film avec le défunt acteur. C’était tellement fort. Il est là. Il parle. Il grogne. Il boit. Il aime. Il sort. Le film fait vivre infiniment son personnage — et par là même un peu celui qui l’habite. L’image est la momie du changement. Je suis avec lui. Il sera toujours là quand je lancerai le film. Il sera toujours là quand quiconque lancera le film. Il faut lancer les films, il faut les faire vivre, ces personnages, ces morts, ces vivants. Il faut que eux, au moins, ils puissent sortir.

Paul Rigoux

Le gros con c’est pas moi, c’est les autres

Lundi, je déteste le monde. Comme un dimanche de gueule de bois, tout me paraît étranger ou bien étrange. Le sang cogne dans mes tempes comme un pilon dans son mortier. Régulier, implacable ce bout de bois. 

Mardi, c’est la connerie et la médiocrité qui m’agressent, devant, derrière et tous les côtés de l’extérieur.

Mercredi, dans les rues de ma ville, je remarque ces couples qui se tiennent la main comme on se tient en laisse. Tellement heureux. Quand ils me croisent, je vois le dégoût et l’angoisse dans leurs yeux. Ils n’osent pas me fixer longtemps, juste ce qu’il faut de curiosité. Ça ne me dérange pas. Plus rien ne compte à cette heure, seulement la prochaine cigarette.

Jeudi, je suis le spleen de l’ivrogne qui cuve son mauvais vin. Avec ma loupe de fou furieux, je les observe. Je vois bien la laideur des hommes et celle de leurs stupides créations. C’est simple, depuis qu’ils sont tombés de leur branche, plus rien ne va. Ils veulent faire, ils veulent avoir, ils veulent être mais réussissent si peu. Pourtant ils s’emploient jour et nuit à valoriser leurs vices. Ils se donnent l’illusion d’échapper à la mort. Rien que ça. Moi, je vois la merde qu’ils remuent pour leurs petits projets. Je vois ce qu’ils cachent derrière, et derrière la merde transpire toujours la merde. La vie est ainsi faite.

Vendredi, je me sens vide et sans espoir. Seul face à ce quotidien rempli de petites misères en dents de scie. Je suis désespéré d’avoir cru aux destins qu’on m’a fait miroiter et dans lesquels je me voyais déjà. 

Samedi, dans cet océan de contraintes, je suis bâté comme un architecte des Bâtiments de France, complètement malade de mélancolie. Pour sûr, le plus grand traumatisme c’est la grandeur passée.

Dimanche, j’ai enfin trouvé la parade. Rien n’est de ma faute, point final. Pour le reste du week-end, j’ai ma mauvaise foi en bandoulière. J’en suis persuadé, le gros con c’est pas moi, c’est les autres.

Il est conseillé de lire ce petit texte en mangeant une poire bien juteuse.

100 D

Chronicle of a mandatory 14-day quarantine in Taiwan

CHEN Jiangping, Jeff de son prénom américain, a passé 14 jours en quarantaine à Taïwan pour une visite familiale. Avec son accord, nous publions aujourd’hui un extrait de son journal de quarantaine, fruit d’un isolement forcé mais voulu. Une démarche qu’il a entrepris naturellement pour documenter ce moment de vie exceptionnel dans son sens le plus strict, “qui est hors de l’ordinaire”.

Day Zero-Sunday December 20, 2020.

Arriving in the international airport in Taiwan yesterday evening (12/19), I experienced firsthand the stringent steps the government here undertakes to confine the spread of the virus that might be brought in by visitors from abroad. Everyone is required to have a local mobile number to be traced. You don’t have one? No problem. Lots of vendors work with the government to sell SIM cards at the airport at the area right before passengers reach the custom.

These vendors are courteous and efficient. Within 10 minutes, you get a brand-new sim card in your cellphone and ready to go. They have many a combo from many a provider with many a rate. I got one that gives 30-day unlimited data with 150 minutes calling time from China Telecom, which costs about 33 dollars. Pretty good deal, considering the unlimited data.

At the same area where the vendors were selling sim cards, certain government workers were also helping everyone fill out a government-required quarantine form directly on the cellphone–the addresses, mobile numbers, and such. Once that was done, I just went to the custom like before and showed the custom officer my proof of CoVid 19 test, with a negative result. The whole process was very smooth. No long lines and no long wait. My flight was supposed to land at 5:10, but the plane got to the gate at around 5;00. By 5:45, I was out, waiting for the quarantine taxi.
The line to the quarantine taxi wasn’t long either. The workers there spread some kind of disinfectant on my suitcases and backpack, then my person all over, including the bottom of my soles. The driver of the taxi was a 69 year old lady, who felt the need of mothering me by reminding me repeatedly that I am to drink a lot of water and exercise in the room during these 14 days. It took us about 15 minutes to get to the quarantine hotel, which was booked online while in Minnesota. The front desk came out to welcome me by spreading some more disinfectant on all of my belongings and me again. Well, to make her feel safe, I did not refuse. No need to check in because they got all the information about me already; in fact they charged the cost of the entire stay on my card already. So she simply told me which room to go to and off I went.


My room is on the second floor, a decent-size room facing the street. They do have good, sound-proof windows. So the room isn’t too noisy. The thing that stands out in the room most is the box of supplies, an essential collection of things that will last me 15 days:

10 tea bags
10 packs of instant coffee,
2 packs of tissue papers,
A toothbrush and a tube of tooth paste,
A scotch pad for dishes, 
25 small garbage bags,
5 packs of q-tips,
5 packs of floss sticks,
One small bag of laundry detergent powder,
One table rag.

I am to live in this room, with these supplies. Once I am in the room, they put a wooden chair in front of it. The meals will be delivered and put on the chair at the pre-set times and a text sent to my phone.

This morning, in spite of being a Sunday, an official from a local government office gave me what was described as a “care-giving” phone call at around 9:00 am. She informed me that every morning someone from her office will call to check on me; she also gave me very useful information about the numbers to call in various scenarios and if I have any questions. I feel that this should be the way the contact tracing is to be done.

I am trying to maintain a normal schedule for the next two weeks. This morning, after studying my Duolingo French lesson, I was informed that I have been studying with them for 700 days. I suppose I can brag a little, or at least encourage myself to keep it up. Today, I am to grade my final exam papers online and calculate their grades. Hopefully I can complete all the grade matters by tomorrow morning. So that is my first night in a quarantine hotel in a nutshell. Hope all my friends around the world are healthy and safe.

Après le quatrième jour, l’auteur a interrompu son travail d’écriture. Nous lui avons demandé les raisons de cet arrêt brutal, voici sa réponse : “This chronicle was doomed from the very beginning. There really isn’t a whole lot interesting to share during the quarantine. The meals, the tiny living quarter, and the rectangular view of the outside through the window on the wall, what else is there to share.”

CHEN Jiangping / Jeff

Parer la Peur au Carré

L’adversité, c’est comme un obstacle jeté au hasard sur notre chemin. C’est une menace, parfois de vie ou de mort, mais sans intention et donc on ne saurait lui en vouloir. A mauvaise fortune, bon cœur. Et puis, lui trouver la parade procure une bonne dose de piquant dans nos existences. Vous imaginez une vie sans confrontation, ni doute ? Le paradis, vraiment ? Reste qu’il y a des adversaires tenaces, et d’autres fugaces dont la menace est à peine perceptible jusqu’à une mort subite… Si l’adversaire et notre niveau de conscience nous le permettent, nous réagissons nécessairement avec émoi et parfois effroi. C’est de ce dernier sentiment, de la peur, dont j’aimerais vous parler. Plus spécifiquement, d’une peur double, à la fois conséquence et cause de l’adversité.

La peur n’évite pas le danger. Elle le multiplie. Il faut la dépasser pour, par exemple, ne pas rester figé face au coup qui nous vient en pleine figure. La peur qui naît de l’adversité nous appartient, et il nous appartient de la surmonter. Mais qu’en est-il lorsque la peur s’abat sur nous par vagues, au gré des rumeurs, sans qu’on en discerne les fondements ? On sait bien qu’elle aime se nourrir de chimères et qu’elle (aussi) est contagieuse… Dans ce cas, il me semble que c’est une autre forme de peur. Cette peur est l’obstacle qui se présente à nous. Elle résonne avec notre propension à la peur et les deux se multiplient. Une telle peur au carré est débordante. Elle nous use (comme depuis un an) et si les digues cèdent, des paniques déferlantes nous prennent et nous entraînent vers une agressivité incontrôlée ; on devient soi-même vecteur de la peur ambiante. 

Comment parer la peur au carré ? Comment distinguer notre chemin entre deux vagues de peur ? Y a-t-il bien un rocher qui gît sur notre route et nous menace dans la chair, l’esprit ou l’âme ? Aux premières questions, il faut sûrement répondre par le courage et la détermination, mais cela me dépasse. En revanche, les épreuves des temps qui courent commencent à affûter notre clairvoyance. Je pense à deux manières d’être au monde qui nous aident à identifier les véritables menaces : réduire son ego et chérir son libre-arbitre. Un profil bas ou fin offre moins de résistance. Un esprit libre garde la raison contre peurs et marées.
Sous le tumulte actuel se cache pour beaucoup d’entre nous un obstacle qui n’est pas plus à craindre qu’un petit caillou poli dans la chaussure. Réjouissez-vous si, comme pour moi, c’est le cas, car la parade est toute trouvée : continuez de courir et de pédaler à toute allure, visage au vent et respirant la liberté à pleines bouffées !

Viel Spass !

Charles-Elie Laly

Les projets de la route Las Animas/Nuquí et du port en eau profonde du golf de Tribugá, Colombie.

Je suis allé dans le Chocó, Colombie, à l’automne 2019. Ce voyage dans cette région colombienne fut ma dernière expérience en tant que touriste occidental en pays étranger, dans une région marquée par tout ce qui pouvait attirer mon attention — notamment par son isolement et sa transition touristique.

Le Chocó est une région de la côte pacifique colombienne située entre la cordillère des Andes occidentale et l’océan. Depuis quelques années, la partie côtière de cette région est sujette au développement balnéaire, bien qu’aucune route terrestre ne la relie à Quibdó, sa capitale. On y accède par avion depuis Medellín, Bogotá, Quibdó ou par bateau depuis Buenaventura. D’autres bateaux font également la route depuis le Panamá bien que ces trajets ne soient pas sur les routes touristiques officielles. Par sa situation géographique coincée entre le Pacifique d’une part et une jungle quasi impénétrable de l’autre, la partie littorale du Chocó est une région difficile d’accès qui fait d’elle un îlot solitaire du territoire colombien. Le Chocó est composé d’une population à majorité afro-colombienne (descendante des esclaves venu·e·s d’Afrique) et de communautés indigenas.  Très peu de blanc·he·s sont venu·e·s s’y installer et le gouvernement n’y prête que peu d’attention. Pourtant, le Chocó est une région extrêmement riche de par sa biodiversité mais aussi de par l’histoire des cultures et des traditions qui se sont accumulées depuis plusieurs siècles suite à l’installation des ancien·ne·s esclaves sur le territoire.  

Je m’intéresserai ici à deux projets significatifs qui ne sont pas sans poser de problèmes écologiques et humains dans la région. Le premier est le projet de construction d’une route permettant de relier Quibdó à la côte. Le second est celui de la construction d’un port en eau profonde au bout de cette route permettant l’accueil des bateaux de croisière, ainsi que le développement d’un commerce international afin de désengorger le port de Buenaventura plus au sud. Mais les problèmes environnementaux et le délaissement du gouvernement dû à la situation géopolitique compliquée de la région1 ont stoppé net ces deux gros chantiers aujourd’hui en projet depuis presque cinquante ans. « No es un problemo de plata, eso es un problemo ambiental »2 évoquait Julio Ibargen Mosquera, ancien gouverneur du Chocó lors d’une conférence de presse sur le sujet. Sur le site internet du gouvernement on peut lire la définition du Plan Nacional de Desarrollo3 dont ces deux chantiers font partie : « Este PND busca alcanzar la inclusión social y productiva, a través del Emprendimiento y la Legalidad. Legalidad como semilla, el emprendimiento como tronco de crecimiento y la equidad como fruto, para construir el futuro de Colombia ».4 Ce projet de développement fait suite aux accords de paix historique signés entre le gouvernement et les FARC5 en septembre 2016. En souhaitant mettre un point final au conflit armé existant depuis plus de cinquante ans sur le territoire colombien, Juan Manuel Santos6 avait dans l’idée de faire croître le pays par son attrait touristique et son développement économique. Mais ce n’est pas lui qui aura les clefs du plan car son successeur Ivan Duque sera élu président juste avant la signature officielle du projet.  

Je me pencherai rapidement sur ces deux cas avant de proposer un entretien avec un habitant du Chocó, une manière de voir le projet par le biais de celles et ceux qui y sont directement confronté·e·s.

Les travaux de construction de la route Quibdó-Animas-Nuquí-Tribugá ont été initiés dès les années 1970. L’avancement fut fastidieux étant donné les conditions météorologiques de la région (le Chocó est une des régions les plus pluvieuses de la planète) et le désaccord de certaines communautés locales quant au projet. Le 4 août 1992, les populations demandèrent la suspension du chantier qui ne respectait pas les conditions environnementales et celui-ci s’arrêta. En 2000, le gouvernement remit le projet sur le tapis afin de continuer la route qui comptait déjà soixante-dix kilomètres. « Le gouvernement a tout intérêt à faire réaliser cette route », disait alors Andres Uriel Gallega7, alors ministre des transports. Mais une nouvelle fois, le projet reste en suspens suite au désaccord des chocoanais·e·s. Pour les peuples du Chocó, cette route est une illusion quant à l’intégration de la région au reste du pays.  

En ce qui concerne le projet du port de Tribugá, Andres Osorio, directeur du laboratoire océanographique de la faculté des mines de l’Université nationale de Colombie met en garde quant aux problèmes humains et écologiques d’un tel projet « aux impacts irréversibles ». « Nous ne pouvons pas mettre de côté le fait que des hommes et des femmes vivent dans cette région » évoquait-il dans une vidéo publiée sur le compte Facebook Manglar Por Tribugá.8 En effet, un tel projet aura des impacts et ceux-ci seront plus ou moins lourds en fonction de la taille des infrastructures.  

D’abord, un port en eau profonde serait profondément néfaste pour toute la faune présente dans la région et notamment pour les baleines qui, chaque année, viennent migrer dans les eaux chaudes du Chocó. Les baleines viennent dans ce golf car la nourriture y abonde grâce, entre autres, à la présence des mangroves. Les mangroves sont un garde-manger phénoménal pour les populations et permettent également le stockage du carbone de ces régions tropicales. Elles sont un stabilisateur efficace et une zone tampon entre l’océan et la jungle. Il est donc évident qu’un port en eau profonde altérerait considérablement le flux migratoire des baleines, mais également la vie de toutes les espèces vivant sur ces côtes et dans les mangroves, qu’elles soient marines ou terrestres. Les tortues qui, chaque année, viennent pondre sur les plages du Chocó sont également en danger, alors même qu’elles font face à une diminution de leur nombre depuis plusieurs années. Imposer un projet comme celui-ci, c’est détruire tout un écosystème en place qui permet pourtant un véritable échange entre les populations et leur environnement. Selon Andres Osorio, répéter ce qui a déjà été fait dans d’autres régions du monde et dont on a la preuve d’un dérèglement écologique au niveau humain et non humain est une absurdité. Il faut garder la mangrove, garder la forêt, et « travailler en infrastructure verte pour respecter l’environnement du port en réduisant les tailles des infrastructures mêmes ». La question serait de savoir comment fonctionne cet écosystème. Il faut s’adapter à lui, et non l’inverse.  

« Il n’y a aucun intérêt pour les locaux qui vivent principalement de la pêche, de l’agriculture et de l’éco-tourisme à voir s’élever un port en eau profonde qui ne ferait que détruire ce qu’ils ont mis des années à construire. »

Depuis le début du projet les populations chocoanaises mettent en garde. Daniela Durán, membre de la fondation MarViva9 demande la transparence des informations, afin que l’on puisse connaître les avis de la population de Nuqui, directement concernée. Il n’y a aucun intérêt pour les locaux qui vivent principalement de la pêche, de l’agriculture et de l’éco-tourisme à voir s’élever un port en eau profonde qui ne ferait que détruire ce qu’ils ont mis des années à construire. Aujourd’hui, 40 % de la population de la région vit en dessous du seuil de pauvreté et l’accès à l’eau potable est rare. Même à Buenaventura, pourtant bien loin de Nuqui, l’eau potable n’est disponible que 4 heures par jour.  

La priorité n’est pas de construire un port, mais des infrastructures pour les habitant·e·s. Des hôpitaux, des écoles, de permettre l’accès à l’eau potable et de désenclaver ces terres sans entraver les cultures et le rapport que la population entretient avec son environnement.  Daniela Durán alerte également sur la nécessité de la transparence quant à la « légalité » de ces affaires : d’où viennent les financements ?  Combien d’argent est en jeu ? À qui cela profitera-t-il ? Elle demande qu’on en appelle aux droits des populations sur place, que ces dernières puissent échanger et donner leur point de vue sur leur propre territoire vis-à-vis d’un projet qui changera définitivement leur mode de vie.

Dorian Vallet-Oheix


Entretien avec Klidier Josué Pacheco González

Au sujet du projet de Port en eau profonde dans le golf de Tribugá

Klidier Josué Pacheco González est diplômé de l’Université des Sciences Appliquées et Environnementales U.D.C.A de Colombie en 2019. Originaire du Chocó où il a grandi, il milite aujourd’hui pour la préservation de l’environnement et contre les projets d’infrastructures portuaires dans le golf de Tribugá, au nord de Nuquí. Il fait notamment partie du collectif Manglar por Tribugá.

Dorian Vallet-Oheix : Depuis combien de temps existent les projets de la route Las Animas-Nuquí Tribugá et du port en eau profonde de Tribugá ? 

Klidier Josué Pacheco González : Le projet de la route vers la mer existe depuis 1959. J’ai commencé à entendre parler de cette route en 2002 sous le gouvernement d’Álvaro Uribe qui était à l’époque président de la république. Le projet de port en eau profonde de Tribugá existe quant à lui depuis 1989. 

Que pense la population de Nuqui de ces deux projets ?  

Face à ces deux projets, la population de Nuquí ne dit pas grand-chose, notamment car elle n’est pas informée. Il n’y a pas de lien avec la communauté locale pour faire en sorte qu’elle participe aux projets et encore moins pour qu’elle exprime ce qu’elle en pense. Bien que certaines personnes s’y soient intéressées, il est encore très difficile d’obtenir de plus amples informations. Néanmoins, ces dernières années, des organisations écologistes sont venues à Nuquí afin de travailler avec la population et d’enclencher un dialogue sur le projet du port en eau profonde. Aujourd’hui, une partie de la communauté n’est pas d’accord avec sa construction, notamment en raison de son grand impact sur l’environnement et du manque de participation que les instances dédiées nous infligent, alors même que nous pourrions intervenir dans ces décisions qui nous concernent.  

En effet, celles-ci nuisent au modèle de développement durable que nous avons choisi à Nuquí pour fonder notre économie, essentiellement basée sur la pêche artisanale, le tourisme écologique et la reprise des activités agricoles. Mais il y a, à l’inverse, d’autres membres de la communauté qui voient dans le port une illusion de progrès, entre autres parce qu’on leur a dit que grâce au port, ils·elles vont avoir une meilleure qualité de vie et un accès aux services de première nécessité. Mais on ne leur a jamais dit que ces services de première nécessité comme la santé, l’éducation supérieure ou l’eau potable que nous n’avons pas dans le Chocó, et encore moins à Nuquí, ne sont pas de la responsabilité d’un port mais de l’État colombien lui-même. Cependant il est à noter qu’une majorité de la population de Nuquí, en tant que communauté afro et indigène, voit dans la construction d’un port en eau profonde un projet qui affecterait notre mode de vie, nos racines culturelles et sociales, et impliquerait la perte de ce territoire qui nous est cher.  Et face au projet de la route Las Animas-Nuquí, contrairement à la construction du port, c’est un projet qui n’a pas eu beaucoup d’impact et dont on ne parle presque pas.

Le port en eau profonde fait partie du Plan National de Développement colombien signé en 2018. Pourtant, j’ai l’impression que ce port ne va pas servir la population du Chocó, mais plutôt les intérêts économiques du gouvernement. Que pensent les personnages politiques du Chocó de ces deux projets ?  

En effet, c’est un projet qui fait partie du Plan de Développement National du pays. Il a pris un peu plus de force pendant le gouvernement Álavaro Uribe au début des années 2000 et s’accélère aujourd’hui, le gouvernement actuel étant le successeur de ce dernier. Mais ce qui est vraiment inquiétant, c’est que ce projet n’apporte pas de bénéfices au Chocó mais aux départements d’Antioquia et de la région du café (Caldas, Quindío et Arménie). En effet, ceux-ci sont les plus intéressés par ce méga-projet car il leur permettrait d’avoir une sortie directe vers l’Amérique centrale et d’éviter les coûts plus élevés causés par l’utilisation du port de Buenaventura. Il faut également préciser que ce sont des entreprises privées qui promeuvent ce projet dans ces départements qui, par l’intermédiaire de leurs alliés politiques et du gouvernement national, renforcent encore leur patrimoine. En échange de cette collaboration, les hommes politiques et le gouvernement reçoivent toujours une sorte d’avantage pour eux ou leurs familles. Je ne pense pas que cela aiderait l’État colombien et son économie (comme nous avons pu le constater au fil des années chaque fois que de nouveaux ports ont été construits), mais en tout cas la qualité de vie des Colombien·ne·s, elle, ne s’améliorera pas.  

Maintenant qu’en pensent les politiciens du Chocó ? La plupart d’entre eux ont exprimé leur intérêt pour la construction du port dans une illusion de progrès et de développement pour le département, mais la vérité est que même eux ne connaissent pas véritablement le projet ou alors n’ont pas participé à son élaboration. Le bureau du gouverneur du Chocó, l’Assemblée départementale (ou en tout cas la majorité de ses membres) et les représentants de la Chambre de commerce du Chocó ont tous exprimé leur soutien à un prétendu développement industriel en minimisant l’importance de la conservation et de la protection de l’environnement. Il y a quelques politiciens du Chocó, surtout les plus jeunes, qui sont préoccupés par l’impact environnemental que ce méga-projet aura. Ils cherchent à créer des espaces pour que la communauté participe et défende le territoire.  Mais en général on sent que chez les politiciens du Chocó il y a des intérêts personnels et individuels relatifs à la création du port de Tribugá et non des intérêts collectifs et communautaires, comme cela devrait être le cas en réalité.  

Aussi, tu m’as dit que tu avais manifesté contre la construction du port. Quelles sont les actions existantes pour contrer le projet ? Est-ce que la communauté ‘indígenas’ prend part à ces protestations ?  

Au début de la pandémie, nous avons formé le collectif Manglar por Tribugá, composé de sept jeunes du territoire — cinq de Nuquí et deux de Bahía Solano — comme voix alternative pour exprimer notre désaccord avec la construction du port, car nous savions que la communauté n’était pas très au courant du projet ou de sa création. Nous avons commencé à lire et à rassembler des informations, puis nous avons cherché des allié·e·s stratégiques qui nous permettraient de travailler ensemble et de rendre le problème plus visible. Il y avait déjà de nombreuses organisations environnementales et des collectifs d’artistes qui travaillaient contre la construction du port de Tribugá. Nous les avons rejoints pour accéder aux informations recueillies. Ensuite, pour se socialiser avec la communauté, nous avons commencé à faire des réunions sur Zoom et des discussions en direct sur Facebook avec la population locale pour parler des avantages et des inconvénients de la construction du port, ainsi que de certaines études techniques qui ont été faites et sur lesquelles nous pouvons nous appuyer pour montrer les impacts environnementaux. Nous avons formé la communauté à l’importance du territoire et aux droits des communautés noires et indigènes, et demandés au gouvernement national d’écouter la voix de la communauté dans l’élaboration et l’exécution de ce projet. Ce sont quelques-unes des actions que nous avons menées avec des centaines d’organisations et de collectifs qui se sont unis pour défendre le territoire.

Les communautés indigenas font également partie de ces manifestations mais n’ont pas eu suffisamment d’espace pour manifester. Il y a également un autre problème très important qui est que les communautés indigenas sont dans une situation beaucoup plus vulnérable que les communautés afros, ce qui affecte leur capacité à s’exprimer librement sans craindre d’être tuées. Leurs communautés sont les moins protégées et les moins incluses dans le territoire. Cette année10, quatre communautés indigènes du Chocó ont été déplacées de force et plusieurs de leurs dirigeants ont été assassinés. Ces déplacements pourraient être stratégiques en vue de la construction du port de Tribugá, mais ce n’est seulement qu’un soupçon que nous ne pouvons nous empêcher d’avoir.  

« Ce capitalisme sauvage qui est devenu le nouveau dieu de notre ère »

Le Parc National de Tribugá — dans lequel habitent de nombreuses espèces protégées, comme les tortues, les baleines et toute la faune et la flore des mangroves — est très proche du lieu où ils veulent construire le port. Que dit la communauté scientifique de l’impact que cela causerait sur l’environnement ? Comment est-il possible de construire un projet comme celui-ci, si proche d’une zone protégée ?  

La communauté scientifique nationale et internationale a déclaré à l’unanimité qu’elle se positionnait contre tout projet qui pourrait affecter un endroit aussi préservé que le golfe de Tribugá et surtout le Parc National Naturel d’Utría, précisément parce que c’est l’un des endroits les mieux préservés et les plus biodiversifiés que nous avons encore sur la planète. Par conséquent, tout scientifique devrait être contre un écocide imminent comme celui impliquant la construction d’un méga-port à Tribugá. Bien que le projet ne se situe pas dans les zones protégées, il se trouve dans leurs zones tampons.  

Et pour répondre à comment ils pourraient vouloir construire un méga-projet dans un sanctuaire de vie, la réponse est facile… des intérêts économiques, ce capitalisme sauvage qui est devenu le nouveau dieu de notre ère, et qui, pour économiser du temps et de l’argent est prêt à sacrifier non seulement notre patrimoine naturel et culturel mais aussi celui des générations à venir.

Est-ce qu’il est possible de voir les actions menées par le collectif ‘Manglar por Tribugá’ sur internet ? Va-t’il y avoir un « rapport officiel » disponible en papier ou sur la toile rassemblant l’engagement des différentes organisations environnementales, des artistes et des scientifiques contre la construction du port ?  

KJPG : Oui, bien sûr. Nous avons la page Facebook Manglar por Tribugá où il est possible de voir le travail et les activités qui ont été faites avec la population locale. Et sur la même page, il y a les communiqués de presse des organisations qui composent l’Alianza Nuquí11, ainsi que certains extraits de diffusion à la télévision nationale. Nous essayons en ce moment de créer un site web pour l’Alianza Nuquí destiné uniquement à montrer tous les impacts négatifs qui peuvent être causés par la construction du port en matière économique, environnementale, sociale et culturelle. Le travail le plus récent de l’une des organisations a été le documentaire Tribugá Expedition12.


{1} La région du Chocó est depuis longtemps délaissée du reste du pays de par ses conditions d’accès extrêmement difficiles et sa géographie hostile. Du fait de la situation climatique tropicale et de la densité de la forêt présente dans la région, le Chocó fut le lieu de théâtre de nombre d’affrontements et de refuges pour différentes organisations de narco-trafiquants et de guérilleros. Le Chocó constitue une base idéale pour la création d’organisation illégale et le passage des drogues. C’est également une région d’exploitation minière, principalement pour l’or mais aussi pour l’argent et le platine. A noter que plus de la moitié de la population du Chocó vit dans la pauvreté, et que l’accès à l’eau potable et à l’électricité est quasi-inexistant.  

{2} « Ceci n’est pas un problème d’argent mais un problème lié à l’environnement », extrait d’une vidéo parue sur la chaîne YouTube de l’Universidad Tecnologica del Chocó Diego Luis Córdoba.  

{3} Plan National de Développement (en français) : signé en 2018 par Ivan Duque juste après son investiture au gouvernement, ce plan comprend un grand nombre de réformes régionales et nationales censé aboutir en 2022.  

{4} « Ce PND cherche à réaliser l’inclusion sociale et productive, par l’esprit d’entreprise et la légalité. La légalité comme graine, l’esprit d’entreprise comme tronc de croissance et l’équité comme fruit, afin de construire l’avenir de la Colombie », en français.  

{5} FARC : Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (en français Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes). En 2016, l’ex-président de la Colombie Juan Emanuel Santos et le chef des FARC Rodrigo Londoño trouvent un accord pour la paix qui mettra fin à plus de cinquante ans de conflits. A partir de ce moment-là, les FARC prennent part à la vie politique et jettent les armes. Néanmoins, en août 2019, alors que Ivan Duque a repris la tête du gouvernement depuis un an, les FARC annoncent la reprise des armes pour dénoncer le non-respect des accords de paix. « L’État qui ne respecte pas ses propres engagements ne mérite pas le respect de la communauté internationale, ni celui de son propre peuple », écrira Ivan Marquez, ancien numéro deux des FARC alors qu’il avait disparu depuis plusieurs mois de la sphère politique et de son poste de député.  

{6} Juan Manuel Santos fut président de la Colombie de 2010 à 2017.  

{7} Andres Uriel Gallega est un ingénieur civil colombien qui fut nommé Ministre des transports de 2002 à 2010 lors du mandat présidentiel de Álvaro Uribe.  

{8} Manglar por Tribugá est un collectif fondé en 2020 composé de sept jeunes chocoanais·e·s. Le collectif lutte contre le projet de construction du port en eau profonde du golf de Tribugá, grâce à l’organisation de divers réunions et conférences depuis le début de la pandémie de covid-19.  

{9} MarViva est une fondation créée en 2002 qui souhaite contribuer à l’aménagement de l’espace marin en Amérique du Sud (notamment en Colombie, au Costa Rica et au Panamá) en proposant une dynamique de marché responsable afin d’optimiser la gestion durable de la mer.  

{10} Entretien réalisé en Décembre 2020.  

{11} Alianza Nuqui est un groupement de villageois·es de Nuquí qui milite contre la construction du port en eau profonde du golf de Tribugá.  

{12} Tribugá Expedition est un moyen métrage documentaire réalisé par Felipe Mesa, Francisco Acosta et Luis Villegas, sorti sur internet en Novembre 2020.

Les armes dites « non létales »

Les armes de la police sont soumises à des conditions d’utilisation bien définies, toutes basées sur la question défensive et jamais offensive. Deux textes régissent l’utilisation de ces armes ; d’une part la note de la commission internationale de la déontologie datant de 2002 (ONU), qui cherche à uniformiser l’utilisation des armes non létales, et de l’autre une note du ministère de l’Intérieur datant de 2004. Ces armes sont censées permettre aux policiers de s’extraire de situations délicates où leur sécurité est en jeu. 

Cependant, nous avons pu observer depuis plusieurs années que celles-ci ne sont pas utilisées à bon escient. A l’instar du maintien de l’ordre à la française, l’utilisation des armes sub-létales a changé. En effet, depuis le mouvement des gilets jaunes, les directives ne sont plus défensives ou dissuasives mais offensives avec la création de nouvelles brigades telles que les BRAV-M (brigade de répression à l’action violente). L’utilisation de ces armes est en hausse ainsi que les violences. Beaucoup de français ont été choqués par l’utilisation disproportionnée de cette violence. Les médias se sont emparés de ce sujet et la question des violences policières est revenue dans le débat public. La France a d’ailleurs été rappelée à l’ordre par l’ONU au sujet de la répression policière. 

Alors où est le souci ? Les armes, leur utilisation ou l’institution ?

« À l’instar du maintien de l’ordre à la française, l’utilisation des armes sub-létales a changé. »

DESCRIPTION DE L’ARME

AÉROSOL LACRYMOGÈNE :

Jet bref d’environ une seconde, à plus d’un mètre, lors de situation de menace. Et les forces de l’ordre sont tenues d’apporter les soins après usage.

UTILISATION PAR LA POLICE

La police ne respecte que très rarement toutes ces conditions, soit elle le fait trop près du visage, soit plus d’une seconde et très souvent même quand la situation ne représente pas de menace. Inutile de préciser qu’elle n’apporte jamais les soins après usage.

 

GRENADE DE DÉSENCERCLEMENT (GLI F4) :

Elle a pour but de permettre au policier de s’extraire d’une situation où il se sent encerclé.

Elle doit être lancée au ras du sol, à la main. 

La police utilise plus souvent cette arme pour disperser les manifestants dans une situation qui ne représente aucune menace pour elle (durant mon adolescence, j’avais du mal à comprendre le sens du nom de cette arme, étant donné qu’elle ne désencerclait absolument rien, la police jetait une grenade au milieu d’une foule qui ne présentait aucun danger pour elle). Mais le grand problème de cette arme n’est pas forcément l’utilisation qui en est faite, mais plutôt son contenu (30g de TNT, à comparer avec les 57g des grenades utilisées lors de la seconde guerre mondiale). Qu’elle soit bien ou mal utilisée cette arme reste très dangereuse. La France est le dernier pays européen à l’utiliser. On recense 4 cas de mains arrachées en 2018.

TONFA :

Arme de défense et de dissuasion, l’utilisation du tonfa en tant que matraque est interdite, le tonfa a pour but de parer des coups ou de neutraliser un individu.

L’utilisation de tonfa en tant que matraque est plus que fréquente, elle est peut être même la seule forme d’utilisation du tonfa.

LANCEUR DE BALLE DE DÉFENSE (LBD) :

Doit être utilisé en cas de situation critique, la balle doit être tirée dans des zones précises.

Le tir doit être effectué entre 25 et 50 mètres. Interdiction de viser la tête.

Le LBD est l’une des armes les plus controversées de l’armurerie française,  car il suffit de très peu, d’une petite entorse à la règle, pour qu’elle blesse gravement, voire qu’elle devienne létale. A l’émergence de son utilisation, l’une des justifications avancées par l’IGPN (dite « police des polices ») pour expliquer une blessure grave, était le manque de précision du LBD. Cependant, aujourd’hui les capacités du dernier modèle LBD sont claires, il est hautement précis. Un visage touché ne peut donc pas être une erreur. On recense dix-huit personnes éborgnées en 2018.

LE GENOU :

Le genou est une articulation qui sert à déplier et replier la jambe afin de permettre la marche, comme chacun le sait.

Mais on recense deux décès en 2020, dû aux genoux de policiers français.

On a donc pu voir que malgré des conditions d’utilisation précises et rigoureuses, les utilisateurs ont à de nombreuses reprises fait entorse à ces règles. Mais une autre problématique s’impose, une question éthique se cache derrière ces armes. La question de la légitimité de la violence. Les personnes qui sont mécontentes de la situation politique et qui manifestent pour leurs droits sont-ils si dangereux, pour qu’on utilise contre eux des armes de guerre ?

Mathieu Laly