Future or no future

L’An 01 n’est pas un film. En tout cas l’approcher en temps que tel ne me paraît pas pertinent pour en parler. Ni la narration ni la mise en scène ne répond aux critères classiques de la critique cinématographique. Bien que ce postulat puisse faire débat (moi-même je n’y souscris pas totalement), je ne me risquerai pas ici à une analyse filmique.
L’idée des réalisateurs Alain Resnais, Jacques Doillon et Jean Rouche existe principalement dans le propos du film.
L’adaptation de la bande dessinée nous montre donc une mosaïque de personnages. L’unique fil rouge étant ce fameux An 01. L’An 01, c’est ce fantasme que tout le monde a pris le temps d’imaginer au moins une fois dans sa vie :

« Et si on faisait un pas de côté. »

Et si… et si on arrêtait de prendre le train le matin pour aller au travail ? Et si les usines s’arrêtaient d’un commun accord entre salariés et patrons ? Et si on mettait fin à la propriété ? À l’individualisme ? Au progrès ? Au capitalisme en somme.
Ce fantasme qu’un nombre croissant d’individus nourrissent secrètement est ici dépouillé de toute les interrogations qui barrent la route à l’utopie.
C’est une vision simpliste, candide, enfantine.
Par son enchaînement de scénettes, l’An 01 invite le spectateur à penser ce « et si ».
Une formule hypothétique magique qui nous murmure « il suffit de le faire ».
Bien que les auteurs imaginent un futur post-capitalisme, l’esprit « no future » ruisselle de l’œuvre. C’est un futur sans lendemain, vécu au jour le jour, comme si les notions de projet, de plan, appartenaient au passé.
C’est justement cette absence de réflexion qui rend le film si chaleureux, comme si ce nouveau monde était automatiquement acquis dès lors qu’on décide de le faire exister.
Tout comme la bande dessinée, le film montre un capitalisme bruyant et oppressant.
La série de planche publiée essentiellement chez Charlie Hebdo au début des années 70 posait déjà les bases narratives du film : il n’y pas de personnages à proprement parlé, ce qui intéresse les auteurs c’est la population, la masse.
L’aspect enfantin est déjà présent, mais une noirceur encore plus critique se dégage des planches, alors que le film se concentre sur une utopie plus festive.
Étant donné le rayonnement plutôt discret du film, il est difficile de lui attribuer un rôle dans les avancées sociales des années 70. Mais l’an 01 est aujourd’hui un bon médium pour comprendre les enjeux post 68. Il grossit le trait du sentiment d’étouffement de l’époque. Le besoin de temps libre, l’allègement de la charge de travail. La naissance d’une conscience écologique ainsi qu’une réflexion sur l’amour et une certaine vision de la vie de couple sont également mise en scène.
En 2020 ce fantasme est toujours plus présent. Mais l’utopie de l’An 01 paraît pourtant s’éloigner. L’époque actuelle étouffe les consciences, elle nous impose une lourdeur d’esprit.
Le précipice se rapproche et la candeur nous quitte peu à peu.
Mais la force du cinéma c’est sûrement l’intemporalité, et grâce à elle, l’utopie d’Alain Resnais, Jean Rouch et Jacques Doillon peut aujourd’hui trouver un écho pour faire exister ce « et si ».

Thomas Lêveque