
Hortense
Son être, dans le mouvement désintéressé s’envole, crée des textures impalpables, évincées.
Au bout de la venelle pavée, devant le mur de briques émiettées, ses mains montent tour à tour sur la façade. Tantôt elles glissent, tantôt elles se cognent contre la vitre – celle qu’on n’attendait pas, qu’on ne soupçonnait pas. Il n’y a rien pourtant, rien. Ce n’est pas faute de le répéter. Et pourtant, pourtant ! Les mains vibrent, une secousse agite les ongles et irradie les doigts, les poignets. S’insère dans les tendons. Le badaud, il est là, bien présent, sur son trente-et-un. Il est là, derrière le trottoir. Il cligne des yeux, mais le reste, c’est immobile. Face à lui, l’homme tout de bronze coulée trie ses roses un peu fanées. Le geste vigoureux, automatique, il n’a pas réfléchi. Une épine le pique. Ça saigne au sommet de son pouce. Ça bourgeonne, ça déborde, ça dégouline. Vite, sucer le sang. L’homme s’épanche et se soigne, son gros doigt dans la bouche. Et dans la cavalcade, son poème végétal s’est effondré. Il est éparpillé sur les pavés.
Sa plaie asséché, la silhouette déguingandée s’accroupit. Les yeux, flanqués sur un visage blafard rempli d’histoires, s’écarquillent, et par-dessus, le sourcil se contorsionne. Ils surveillent l’audience.
C’est qu’il faut s’y prendre à plusieurs reprises ! Poser les tiges rescapées dans le vase. Il est un peu étroit, alors il faut ruser. Ramasser les feuilles et n’abandonner aucun pétale au froid du bitume. L’homme regarde ce sol jonché de couleurs, vivant et mouvant. Presque une mare dans un parc, du côté de Giverny.
Pourtant, sous les frondaisons, c’est le béton.
Pas de quoi pleurer, il continue de ramasser. Tiens ! Voilà une rose qui n’a pas éclos. Elle a encore toute sa corolle, blottie en elle-même comme un coquillage mou.
L’homme, bouche frémissante, mains en creux, offre la belle bourgeonnante au petit garçon. Celui qui, depuis le début, ne l’a pas quitté des yeux.
Pas froussard, le gosse l’agrippe, la fourre dans sa poche.
De l’autre bout de la venelle pavée, si un passant s’était arrêté pour observer cet échange, il aurait cru voir, à n’en pas douter, un homme et un enfant s’échangeant une fleur tout à fait réelle, choyée par les paumes, tournoyant entre les cinq doigts de la main.
Pourtant, dans la poche du gosse, c’est le vide.
Joanne Girardo