La Trouille Cathodique

CINQ SOUVENIRS DE BANDES-SON TRAUMATISANTES

7 ANS

Imothep, la momie revenue d’Egypte antique pour torturer des aventuriers inconscients. Trilogie sur FR3, soirée spéciale fin de vacances. L’air tiède dans le salon et mon oncle un peu bourré qui ronfle.
La Momie. Je suis trop effrayé pour bouger de devant le poste de TV. Ronflements si bruyants qu’on entend à peine les répliques. Je ne comprends pas grand chose à ce que je vois, difficile de dire quand un film s’achève et quand le suivant commence. Du sable, des monstres et des menaces en hiéroglyphes.

Pendant un mois j’ai la trouille de me retrouver seul, ne serait-ce que le temps de pisser. Je ne le fais qu’à midi, en terrain dégagé et sous le soleil. Vagues souvenirs de la musique sous le ronronnement du téléviseur : des cordes stridentes très clichés au moment de traverser des ponts qui s’écroulent et la grosse caisse qui s’emballe quand Imothep surgit.

16 ANS

Nuit pluvieuse en Bretagne, on fume à tour de rôle à la fenêtre. Il faut se cambrer, hisser nos reins à travers la lucarne pour que la fumée s’échappe. Le film commence, Felix prend l’accent italien et l’air glacé s’engouffre dans la chambre. Sussspirrrria, il gueule comme un chauffeur de salle napolitain. Disco- hémoglobine.

La pluie tombe aussi à verse quand une jeune danseuse américaine débarque en Autriche. Ensuite un internat, de vieilles histoires de sorcellerie et de robes blanches qui se couvrent de sang les unes après les autres. Rire gras sur fond d’angoisse. Suspiria. Je me souviens de synthés, d’un instrument qui ressemble à une lyre et d’une voix rauque qui baragouine un anglais à l’accent rital. Puis la B.O de l’horreur-disco, des « wiiiitch » sensuels susurrés par une fausse Donna Summer.

14 ANS

UGC Lyon Bastille, rendez-vous amoureux. Effrayé avant même que le film commence et appâté par la promesse d’un plaisir Interdit aux moins de 16 ans. Une maisonnette isolée à la lisière d’un bois : ambiance pesante de début d’hiver et routes givrées. Toujours la même histoire. Un orphelinat, un asile psychiatrique et quelques leçons de piano.

J’attrape la main de Johanne mais tremble comme un fou. Je ne fais pas vraiment attention au film. Ca ne tient pas debout, la gamine qu’ils viennent d’adopter a en fait quarante ans et veut leur peau. Je ris pour faire le beau mais prend vite peur. La fausse gamine les poursuit dans la neige, increvable. Je touche une cuisse. Elle va tuer sa propre mère!

Je suis terrorisé.
Je bande.
La musique est nulle.

23 ANS

e vis dans un minuscule village d’Ardèche, deux rues qui se croisent devant l’Eglise. Décor de Western, soirée de février. J’ai en poche les clefs de la salle de cinéma. On boit pour se réchauffer, le temps que les vieux radiateurs se mettent en branle.

Un piano, un violon, trois notes de valse mortifère. Le « thème romantique » des Yeux sans visage. Trois amis, chacun sur sa rangée. La belle Edith Scob, défigurée, déambule flottante dans un grand manoir de banlieue. Et son père, médecin sordide, qui chasse les jeunes filles pour leur prélever l’épiderme.

J’entends le bruit étouffé de mes pas sur le chemin du retour. J’ai le souffle court. Un chien au loin. Comme un gosse j’accélère sur les derniers mètres. Mon pouls s’emballe. Il n’y a personne sur les routes de campagnes, aucun chirurgien fou pour m’enlever.

10 ANS

Souvenirs d’un jeu. Répéter cinq fois, de plus en plus doucement, Candy Man face au miroir de la salle de bain. Au bout de trois je tremble. Quatre, quelque fois. Jamais cinq.
Candy Man. Candy Man. Candy Man. Candy Man. Je me rappelle mal du film. Un fantôme qui rôde dans les ghettos de Chicago et le thème de Phillip Glass comme une boîte à musique hantée. Des chœurs, des chœurs, et des violons. Quelques images : un bébé disparu qu’on sauve in-extremis d’un brasier, une belle étudiante qui succombe à ses brûlures. Et la honte de n’avoir jamais osé invoquer à mon tour l’infâme tueur.

Léonard Ledoux