Le courant des communs est l’un des nombreux mouvements qui proposent de sortir du cadre néolibéral de la pensée économique. Ces mouvements proposent une réflexion autour de la crise systémique que nous traversons, considérant que la crise écologique et la crise sociale sont intimements liées. Les alternatives proposées sont très diverses et, loin d’entrer en contradiction les unes avec les autres, prennent sens de par leur complémentarité. On retrouve aussi bien des mouvements issus des peuples autochtones, comme le Bien Vivir, que des sociétés industrialisées, comme la décroissance ou la démondialisation. Pêle-mêle, on peut également citer l’éco-féminisme, l’interdépendance alimentaire, les low-techs, les militants du web, etc. ou encore les communs.
LA TRAGÉDIE DES BIENS COMMUNS
Garrett Hardin, biologiste, publie La tragédie des biens communs en 1968. Il considère que les biens communs sont par nature difficiles à attribuer (une rivière par exemple) et rivaux (la pêche entraîne une diminution de la ressource et donc une rivalité). Appliquée aux biens qui sont appropriables (l’air par exemple est un bien commun, mais il n’est pas appropriable), la théorie de Hardin pointe du doigt le risque lié à la surconsommation : l’épuisement total des ressources et de leur capacité à se renouveler. Dans nos sociétés occidentales, la prise de conscience de la finitude de la ressource entraîne une privatisation égoïste et croissante de celle-ci, entraînant de facto une augmentation de la rivalité entre les consommateurs.
Les solutions proposées pour remédier à la tragédie des communs divisent de manière assez classique les défenseurs de la privatisation (qui consiste à apposer un droit de propriété sur la gestion des ressources) et de l’étatisation.
Le courant des communs s’intéresse à la recherche d’une troisième voie.
QU’EST-CE QU’UN COMMUN ?
Les communs élargissent la définition donnée par Hardin en considérant qu’un bien commun peut être immatériel (par exemple, la culture, la connaissance). Le commun peut aussi se définir par sa fonction dans la société (par exemple, on peut considérer que la gestion urbaine des déchets est un bien commun). En partant du constat de Hardin, le mouvement défend la vision d’une propriété collective renouvelée. Le centre névralgique des communs réside en le fait que le bien est géré par et pour le collectif. Autrement dit, la gestion d’un bien est prise en charge par une communauté ou un groupe de personnes directement concerné par sa consommation.
Parmi les biens matériels, les communs permettent de gérer certaines ressources naturelles, par exemple une coopérative ou une AMAP est gérée de manière collective par la communauté qui profite de la production alimentaire. Le versant immatériel des communs, aussi nommé « communs de la connaissance » concerne par exemple les logiciels libres (comme la licence Creativ Common qui permet de libérer les copyrights des œuvres), ou encore des sites dédiés à l’univers académique (Open Access Initiative, par exemple, permet aux chercheurs de mettre en accès libre pour le monde entier leurs travaux).
LES COMMUNS EN POLITIQUE
Le mouvement des communs propose une implication directe des individus et favorise l’interaction sociale. Il est très présent sur la scène médiatique et politique, ainsi que dans diverses parties du monde. On peut citer par exemple, Passe Libre au Brésil (qui lutte pour la gratuité des transports en commun), l’occupation du parc Taksim Gezi à Istanbul (une mobilisation massive contre la création d’un centre commercial), ou encore des mouvements comme Occupy ou les Indignés (qui oeuvrent pour la mise en place d’une démocratie directe). Dans un système néolibéral où la privatisation des ressources est moteur de croissance, l’accès aux ressources est concurrentiel et la notion de commun n’a pas sa place. En effet, elle détruirait l’équilibre du capitalisme, système qui repose sur le maintien des inégalités entre les individus. Tiraillés entre la souveraineté de l’Etat et celle de la propriété privée, les communs proposent quelques interstices au sein desquelles se développe un autre système de contribution et de jouissance des biens. Apprendre à gérer collectivement les biens est un moyen de lutter contre l’accaparation et de veiller à une bonne distribution des ressources. La mise en œuvre concrète de cette théorie se fait de manière très différente en fonction les échelles d’application. Plus l’échelle est large, plus la mise en œuvre d’un mode de gestion commune s’avère complexe. Elle remet toutefois en question la nécessité d’un possédant, lui substituant une autogestion raisonnée.
Cette théorie n’est pas à systématiser mais au contraire à alimenter et à adapter selon les contextes. Enfin, elle n’entre pas en opposition avec la diversité des mouvements qui proposent des alternatives au néolibéralisme. Le dénominateur commun de toutes ces expériences réside en une rupture avec une vision anthropocentrée qui place l’homme au-dessus de la nature, légitimant sa surexploitation et sa destruction. Ils s’accordent également autour du rejet d’une monétarisation systématique des biens et services et de la financiarisation de l’économie.
Valentine Canut
Références :
Aguiton Christophe, « Les communs », Le monde qui émerge, 2017, Attac.
Hardin Garrett, La Tragédie des biens communs, 1968.
Ostrom Elinor, La Gouvernance des biens communs : Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, 1990.
Festa Daniela, « Notion en débat, les communs », 2018, Géoconfluences.