
Perchée dans la montagne à l’altitude des alpages, la cabane non gardée se présente la plupart du temps comme un abri des plus sommaires. Composée de quatre murs pouvant être en pierre, en bois ou en ciment et d’un toit généralement en tôle, son agencement est minimaliste. On y retrouve souvent, au rez-de-chaussée, un poêle, une table, des bancs et à l’étage un grand plancher servant de dortoir. Ce lieu singulier est éloigné des routes carrossables et donc reclus au milieu de la nature.
Ces cabanes libres se distinguent des refuges classiques de par leur gratuité bien qu’une participation libre puisse être proposée, le refuge reste accessible à tous sans condition. Pas de clé ou de cadenas dans ces lieux, la porte est toujours ouverte et le refuge est toujours prêt à accueillir une âme de passage.
Ce qui m’a marqué dès mes premiers séjours dans ces cabanes, c’est le sentiment de privilège qu’il y a à être là. Cette petite maisonnée au milieu des montagnes devient nôtre le temps d’une soirée. On s’approprie cet espace, on y vit pour une temporalité limitée. La nuit, on va pisser dehors à la lumière de la lune sous le spectacle des étoiles et le matin on se réveille avec une vue incroyable sur les montagnes environnantes, quel luxe ! Mais il est paradoxal d’avoir ce sentiment de « privilège » et « d’appropriation de l’espace », car ce lieu est par essence ouvert à tous, sans distinction, ni contrôle à l’entrée.
Et le constat est qu’on y trouve une diversité de personnes impressionnante: des alpinistes venus faire un sommet et se levant à trois heures du matin, une bande de potes venus fêter un anniversaire ou encore une famille venue faire découvrir les plaisirs de l’itinérance à leurs enfants. Tout ce petit monde, qui ne se serait probablement jamais rencontré, cohabite ensemble le temps d’une soirée, échange des anecdotes ou une lampée de génépi.
Ces endroits sont des biens communs. On y retrouve un fonctionnement collaboratif et bienveillant. L’approvisionnement en bois par exemple, est refait par chaque occupant, le ménage est fait en partant, et on y laisse si possible quelques bougies ou des victuailles pour les prochains habitants. Le respect de ces règles d’usage implicites est indispensable à la pérennité de ces lieux.
Ces refuges sont pour la plupart des anciennes cabanes de bergers construites il y a plus d’une centaine d’années. Les matériaux servant à leur construction ont été acheminés depuis la vallée à dos d’homme ou de mulet, ou glanés sur place. Un travail d’envergure qui depuis les années soixante a été remplacé par l’hélitreuillage lorsque les moyens financiers sont suffisants. Aujourd’hui, le nombre de bergers ayant diminué dans les montagnes, ces cabanes ont trouvé un nouvel usage à travers la société de loisirs qui s’est développée, notamment en montagne.

Cependant, la gestion de ces espaces libres est très floue. Ces refuges ont des propriétaires divers, ONF (Office national des forêt), communes, propriétaires privés ou inconnus, et leur entretien est laissé à leur bon vouloir. Des associations prennent le relais pour permettre à ces lieux de continuer d’exister.
Parfois, ce sont des associations très locales qui se mobilisent afin de s’occuper d’un refuge en particulier. On peut citer l’exemple de la cabane de Rochassac [001], à l’extrémité nord du massif du Dévoluy à 1 690 m d’altitude. Cette cabane, datant d’environ un siècle, a échappé de peu à sa destruction en 2014. En piteux état, l’ONF voulait effectivement la détruire. Des admirateurs de ce lieu se sont mobilisés jusqu’à se retrouver à plus de deux cents. L’association Rochassac s’est ainsi créée, a levé des fonds,
et les membres se sont retroussés les manches afin de rénover l’édifice. Le chantier a permis de refaire la charpente, le plancher, l’isolation, de changer le poêle. Cette cabane, ouverte à tous, est toujours gérée par l’association qui est aux petits soins pour le site.
D’autres associations ne sont pas uniquement dédiées à seul un refuge. L’association Tous à Poêle2, par exemple, s’est donné pour but de bichonner les cabanes libres. Créée en 2015, l’association a déjà réalisé des chantiers dans pas moins de quinze cabanes.
Sans ces initiatives associatives,
la survie de ces enclaves libertaires serait très compromise. En effet, les propriétaires décident parfois de condamner certains refuges
trop dégradés, et les conflits d’usage sur ces lieux peuvent amener à en restreindre l’accès.

Ces espaces majoritairement autogérés
sont des îlots résistants à une logique dominante de privatisation et d’usage des biens à visée commerciale. Leur pérennité ne tient qu’à un fil et mérite d’être défendue.
Cyprien Donnet
Photos de Marion Krahenbuhl