Aujourd’hui plus que jamais, la lecture me semble une activité de résistance et de liberté. Cela n’a pas toujours été ainsi que j’ai perçu cette occupation qui compte parmi mes passions premières. Plus jeune c’était surtout un moyen d’échapper aux contingences du monde proche et réel. Me perdre dans une histoire et éprouver les différences et les similitudes en rapport avec ce que je vivais. C’était davantage un moyen de questionner ma réalité tout en m’en distanciant, mais sans que je le sache, tout le potentiel de résistance était déjà bien présent.
J’étais attiré par le côté aride de la lecture qui en faisait pour moi le plus passionnant des jeux. Il faut bien le reconnaître — et c’est une des difficultés qu’ont beaucoup de personnes avec la lecture — rien n’est plus ennuyeux et ennuyant visuellement parlant que de petits caractères noirs sur du papier blanc. C’est en fait là que réside la plus grande de ses forces. L’être humain au cours de son évolution a principalement développé son sens visuel — il me semble parfois au détriment des autres — par la chasse et la cueillette, la pratique des artisanats premiers, le commencement des arts et mille autres activités. Tout ce que nous voyons peut potentiellement être source d’imagination et d’idées nouvelles.
Sachant cela et étant aussi sensible à tous les autres arts davantage « visuels », le ratio « impact visuel / imagination » de la lecture me semblait bien déficitaire sur le plan visuel, mais si intensément riche du point de vue de l’imagination. Dans un film par exemple, beaucoup de sens sont mis en éveil. On pourrait s’imaginer les images et les personnages différemment de ce qu’ils sont sur l’écran, mais ce n’est pas le cas et la place laissée à l’imagination est donc à mon sens, moindre que celle laissée dans la pratique de la lecture. Car combien de fois avons-nous été déçus en découvrant une lecture que nous avions aimée, une fois transposée à l’écran ? Les décors étaient différents, la morphologie des personnages aussi et encore une foule d’autres détails par rapport à ce que nous avions imaginé.
Pour un livre, il y aura autant de perceptions différentes qu’il y aura de lecteurs. La pratique de la lecture est une activité solitaire au cours de laquelle on confronte ses propres idées, croyances et acceptations du monde avec ce dont nous parle l’auteur. Bien sûr, cela dépendra du livre, que cela soit de la philosophie, un essai ou une fiction. On entre alors dans un dialogue muet avec l’auteur et, page après page, nous nous construisons et déconstruisons en silence.
Aujourd’hui alors que tout accélère avec cette prédominance des écrans et des opinions trop vite bâties, lire me paraît être une activité essentielle entre toutes. Elle nous fait tout à la fois redécouvrir, dans une certaine mesure, une part intime de nous-mêmes et aussi que oui, nous en avons le temps. Lorsque nous lisons, un monde se crée et se recrée en secret et pour citer Gilles Deleuze à la lettre « R » de son fantastique abécédaire (1) :
« Créer c’est résister »
(1) Je vous invite par ailleurs à aller regarder, si ce n’est pas déjà fait, cet abécédaire de Deleuze, disponible en intégral sur une plateforme de diffusion de vidéos que l’on ne nomme plus.
Antoine Mondou