Mogwai feat. Satan

Un long tube de presque 70 mètres de hauteur, gorgé de carburant, s’arrache du sol au terme d’un interminable compte à rebours (un bel oxymore). Le bruit est insoutenable, la terre tremble, tout n’est que bruit et fureur. L’image est connue, mais reste envoûtante. Voilà plus de dix ans que la NASA n’a pas envoyé d’homme dans l’espace. La tragédie de Challenger, une navette qui a explosé en janvier 1986 tuant les sept membres de l’équipage, est encore une plaie ouverte sur la fierté américaine. La tension est palpable malgré les sourires ostentatoires d’un président arrogant et d’un milliardaire joueur. Il ne s’agit pas uniquement de prouesse technologique, mais de fierté, encore, toujours. Great again, proud again. Tel est l’enjeu.

Les images des deux décollages s’opposent les unes aux autres. Deux astronautes confortablement lovés et sanglés dans leurs fauteuils, tel deux « playmobil » habillés par des designers de studios hollywoodiens (nous sommes aux « States »). Combinaisons blanches et bottes noires. Tout semble calme et silencieux. Le spectacle est parfait, comme espéré. Toujours captivant. Derrière une apparente sérénité, se cache un chaos de bruit, de feu, de tension et de peur mêlés. S’il fallait un habillage sonore pour ces images, le genre musical qui saurait restituer ces oppositions serait le Post- rock.

Enfant du rock et du minimalisme, le Post-rock se distingue par la longueur des plages musicales qui alternent calme et fureur, et par le caractère instrumental des compositions (pas de chant, même si des voix peuvent être utilisées). Les limites sonores n’existent pas ; ce qui a longtemps été un problème pour les concerts en France. De la douceur au chaos, le « post- rockeur » vous emmènera en terrain inhospitalier. Il vous bousculera, vous maltraitera, trouvant en vos tympans un fantastique terrain de jeu. Tout tremble. Tout est menace. Musique idéale pour les climats anxiogènes,

le post-rock vous ligote, vous tient entre ses notes. Les concerts peuvent se vivre comme des expériences d’art contemporain. Souvenir ému à Lyon avec les canadiens de « Godspeed You! Black Emperor » où les spectateurs entrent en résistance physique, tant le son pénètre les corps. Public hypnotisé, anesthésié, mais jouissant d’un moment inouï. Puis l’étau se desserre. La quiétude se profile à l’horizon. Enfin. Hélas.

Depuis 1997, les écossais de Mogwai sont considérés comme les maîtres du genre. Dès leur premier album, le bien nommé « Young Team », le groupe applique une recette immuable. Le cahier des charges est parfaitement respecté. Un calme, parfois relatif, ouvre les morceaux ; puis lentement, progressivement, le son monte prenant de l’ampleur pour emmener vers le chaos sonore. Ambiance tendue, agressive mais rarement violente. Le caractère instrumental permet de s’accrocher à la mélodie comme à une bouée de sauvetage en pleine tempête. Puis revient le calme, offrant le répit tant attendu. Le dernier titre de l’album est un Everest de son, seize minutes et 20 secondes d’électricité pure dont il serait dommage de déflorer le déroulement. Dans la mythologie chinoise un Mo gwai (mogui) est un petit lutin se servant de ses pouvoirs surnaturels pour effrayer les humains. Cette définition peut à elle seule résumer la musique du groupe.

En 2006 le groupe signe sa première B.O. pour le documentaire « Zidane: A 21st Century Portrait1 », où les caméras ne suivent que Zinédine Zidane sur la durée totale d’un match. La musique amplifie l’effet obsessionnel de la caméra sur le joueur. En 2013, le caractère anxiogène de la musique de Mogwai envoûte la série « Les Revenants2 ». D’autres documentaires suivront, dont « Atomic », sur l’histoire de l’atome, pour lequel le groupe jouait un live en format ciné-concert, les spectateurs

visionnant le film, tout en cherchant les musiciens dans la pénombre. La puissance du son plongeait littéralement le public au cœur du réacteur. Dernière production des écossais début 2020 avec la musique de la série « ZEROZEROZERO3 » sur le trafic de drogue.

Pour conclure sur une note ludique, je vous propose un petit jeu consistant à illustrer des images télé, avec par exemple un lancement de fusée (Space X) illustré par le morceau emblématique de Mogwai, (le fameux Everest) Mogwai Fear Satan.

Il suffit de lancer un premier lien musique : Mogwai Fear Satan

puis vous avez cinquante secondes (c’est précis) pour lancer la vidéo : Vol habité de SpaceX

Liens

1 https://www.youtube.com/watch?v=FKnRzdv_ak0
2 https://www.youtube.com/ watch?v=tBKtTZdc72k
3 https://youtu.be/7b1rd4TEl-s

Patrick Nauche