Autant que je m’en souvienne, je les ai toujours sentis rôdant pas loin..
La journée, ils me laissaient tranquille, je les oubliais presque, mais dès que le soleil se couchait je pouvait entendre à nouveau leurs chuchotements près de mon oreille, le frôlement de leur corps sans consistance contre les murs.
Je sentais leur présence dans mon dos, et la partie reptilienne de mon cerveau était alors immédiatement en alerte. Cela ne cessait vraiment qu’au lever du soleil où, épuisée, j’avais fini par m’endormir d’un sommeil lourd.
Ils n’avaient pas de nom, je n’avais pas voulu les nommer, les gardant le plus possible à distance de moi.
Leur présence chaque nuit, tourbillonnant autour de mon lit, venant lover les épines de leur corps au creux de mon cou, venait troubler mon sommeil d’enfant et perturbait ainsi mes journées.
Ils étaient ceux qui se cachaient dans l’ombre, ceux qui venaient réveiller mes pires angoisses, s’insinuaient dans mes rêves pour les transformer en cauchemars, et me tenaient éveillée des nuits durant, tremblante, les yeux écarquillés par la peur, brûlante de fièvre et n’osant pas me rendormir de peur de ne pas les voir arriver fondre sur moi.
Dès que j’étais seule, je les entendais marcher le long des murs, de leurs longues pattes d’araignées, tournant leur visages grimaçants vers moi.
Ils avaient faim et aimaient sentir ma frayeur et leur emprise sur moi, c’est cela qui les nourrissait et je pouvais presque les entendre jubiler quand je voyais le ciel s’assombrir à la nuit tombée et que je commençais à avoir du mal à ne pas trembler.
Eux, je ne les avais jamais réellement vu de mes yeux, je les imaginais, calquant sur eux les nombreuses images effrayantes de monstres que je voyais dans les films et les livres.
Ce sont leurs yeux, leurs griffes et leur démarche lente que je sentais en frissons et auxquels je donnais vie. En vérité ils étaient plus évanescents que cela, ils n’étaient peut-être même qu’une brume de peur plus que des êtres capables de me barrer la route.
Je ne sus jamais vraiment ce qu’il se serait passé si j’avais eu l’audace de leur faire face, j’étais toujours trop lâche pour oser faire un pas dans le noir et me laisser engloutir. Au contraire, je me roulais dans mes couverture, quitte à m’étouffer, préférant laisser passer l’angoisse, comme une tempête contre laquelle je ne pouvais rien, et au bout de quelques heures le silence revenait, ma respiration s’apaisait et je me rendormais.
Ma grand-mère, très croyante, m’avait élevée dans la peur du mal, des démons et des mauvais esprits, elle croyait très fermement à des êtres capable de venir punir ceux qui avaient pêché, menti, volé et ayant tous ces vices en moi dès l’enfance, j’étais effrayée à chaque coucher de soleil de voir venir ces être maléfiques ramper vers mon lit pour m’emmener dans leur monde sombre.
Longtemps j’ai ainsi passé de mauvaises nuits, mon sommeil était tourmenté, j’avais peur de tout, même la journée, et je ne pouvais pas me coucher sans invoquer tous les esprits protecteurs et bienfaiteurs que je connaissais, m’enveloppant mentalement d’une sphère protectrice qui s’étendait à ma chambre, à ma maison mais aussi parfois à tout mon quartier..
Plus tard, je mis toutes ces angoisses au fond de ma tête et essayais de ne plus y penser, cela fonctionna un temps, mais elles me rattrapaient toujours, malgré les calmants, les somnifères et autres moyens dérivés pour avoir des nuits sans rêves.. Les effets des drogues étaient de courte durée et altéraient ma santé, cela n’était pas mieux.
Le seul moyen de ne pas penser à ces démons et les laisser entrer fut d’avoir toujours quelqu’un dans mon lit, étrangement ils me laissaient en paix quand je n’étais plus seule.
Je découvris ainsi un moyen presque sûr de dormir des nuits entières sans me réveiller en sursaut.
Depuis quelques années mon sommeil s’est amélioré, bien sûr au moindre bruit ou mouvement suspect dans ma chambre je me réveille encore apeurée, mais c’est à chaque fois pour ne découvrir que les murs vides habituels de ma maison et non pas des êtres rampants m’observant en silence.
Je ne m’aventure toujours pas dans les coins sombres, car je peux entendre le chuintement sinistre de leurs corps si je ne fais pas assez attention, mais les éviter m’aide à ne plus y être confrontée et j’ai ainsi trouvé un moyen d’en faire abstraction.
Cette peur qui m’a enveloppée depuis l’enfance commence tout juste à s’estomper mais je la sens encore présente et je les sens toujours aux aguets, attendant dans la nuit que je me laisse aller à mes rêves pour à nouveau revenir me hanter.
Je ne les oublie pas, je sais qu’ils seront toujours là..
Angèle Fougeirol