
Je ne sais pas si j’étais programmé pour vivre cet instant. Ou si c’est cet instant qui était programmé pour me trouver. Mais je me souviens m’être dit que c’était la parade qui était venue à ma rencontre.
Je quittais un endroit que j’aimais pour aller en rejoindre un que je ne connaissais pas encore. J’allais d’un point A à un point B, obligé de passer par cet autre point X inconnu sur la carte du Pérou.
La voiture me déposa là, au milieu du canyon, à 3200 mètres d’altitude.
Une grande église rose sur la place semblait veiller sur le village.
Du calme plat que m’inspirait cet endroit, je sentis monter une agitation. J’entendis comme un grondement au loin. Il se faisait de plus en plus proche. Puis, à une vitesse phénoménale, je vis une vingtaine de taureaux conduits par des hommes à chapeaux passer devant moi et manquer de me faucher.
Je continuai mon chemin. Je croisai de vieilles dames dont il était facile de reconnaître qu’elles avaient enfilé ce jour-là des robes spéciales. Elles couraient dans la rue comme pour ne pas louper quelque chose. Je décidai de les suivre.


J’arrivai dans une ruelle remplie de danseurs et danseuses aux capes bariolées. Un grand orchestre composé d’hommes aux allures de cow-boys répétait en boucle la même chanson. Chacun d’eux semblait lutter pour ne pas être écrasé par le poids de son instrument.
Je me pris alors à danser avec eux. Puis, comme pour sauvegarder cet instant de l’oubli, connaissant les réticences de mon cerveau à retenir des moments que je lui aurais intimé l’ordre de conserver, je sortis mon appareil photo.
Une personne vint me glisser une petite phrase à l’oreille. Puis une autre. Rapidement, je compris qu’on me confondait avec le photographe officiel de l’événement. Je ne niai pas.
Chacun m’invita alors à manger quelque chose chez lui. On me réclama pour suivre

le cortège de la procession de près. Les quelques personnes les plus importantes du village étaient conviées à déambuler avant d’aller écouter le discours du maire. On me demanda d’y être. Le maire visiblement très ému remercia les personnes présentes. Il me cita dans son discours.
La nuit tomba petit à petit. À cette altitude les mixtures spéciales qu’on m’offrait à boire me montaient vite à la tête. Je n’étais pas en état de faire la conversation mais le maire du village vint à ma rencontre. Je tentai de faire bonne figure. Il me dit qu’il avait quelque chose à m’offrir. Je fus surpris et ému jusqu’au moment où je compris qu’il s’agissait de la main de sa nièce. Sans avoir le temps de lui expliquer quoi que ce soit, la nièce apparue, me pris par le bras et m’entraîna dans une danse soutenue sur la place du village devant l’église.
On dansa des heures, elle et moi, au milieu de la foule.
Enfin, le gigantesque feu d’artifice mêla le rouge et jaune des fusées au rose de l’église reconstruite, me disait-on, après un récent tremblement de terre. C’était superbe. Un grand portrait de la virgen del Carmen fut hissé au-dessus de nous.
De la suite, je ne me souviens plus, si ce n’est que j’avais rendez-vous le lendemain pour déjeuner chez le maire et aller avec lui à la corrida prévue à 14h. Mais je n’y suis jamais allé, déjà reparti pour rejoindre le point B.
Sacha Teboul